Le père Matteo, notre curé.
Horaires de l'été 2025.
Messe à 9h30 à l'église Saint-Bruno et messe à 11h à l'église Saint-Denis de la Croix-Rousse.
Horaires du 29 juin au 6 juillet 2025.
Jésus envoie les Apôtres
Ludolphe le Chartreux
Matthieu 9, 36-38 — Marc 6, 7-11 — Luc 9, 1-5; 10, 1-2
Après avoir vu la loi évangélique établie par la prédication de Jésus-Christ et confirmée par l'opération des miracles, nous allons maintenant la voir promulguée par la mission des Apôtres. « Remarquez ici l'opportunité de cette mission, dit saint Chrysostôme ( Homélie 33 in Matthieu ) . Les Apôtres ont admiré le Sauveur ressuscitant les morts, apaisant les flots, et faisant d'autres semblables prodiges; ils ont reçu une démonstration suffisante de sa puissance souveraine par ses paroles et ses œuvres; voilà pourquoi Jésus-Christ leur confie maintenant une mission. » Il ne les a point envoyés prêcher dès le commencement de sa vie publique, comme le fait observer la Glose, ce n'est qu'après les avoir rendus témoins de la guérison des aveugles et de la résurrection des morts.
Voici quelle fut l'occasion de cette mission. Des foules nombreuses suivaient le Sauveur, soit pour entendre sa prédication, soit pour obtenir la délivrance de leurs infirmités. Mais Jésus était si pauvre qu'il n'avait aucun domicile pour prendre son repos; aussi le peuple qui l'accompagnait tombait par terre accablé de faim, de fatigue et de chaleur. À la vue de la multitude rassemblée autour de lui, Jésus ouvrant les entrailles de sa miséricorde fut touche de compassion sur les maux que souffraient tous ces gens dans leur corps et dans leur âme, à cause de leurs infirmités et de leurs péchés; car ils étaient couchés çà et là sans aucun abri, comme des brebis sans pasteur pour les conduire ( Matthieu 9, 36 ) . Dans ces paroles de l'Évangile nous voyons la condamnation des pontifes juifs qui étaient plutôt des loups que des pasteurs. En effet, dit saint Jérôme ( in chapitre 9 Matthieu ) , les souffrances des troupeaux, soit des brebis, soit des peuples, viennent de la négligence des pasteurs et de la faute des maîtres. Or, en ce temps-là les prêtres et les docteurs de la Loi ne s'appliquaient point à l'enseignement de la doctrine, comme ils le devaient; mais, semblables à des loups ravisseurs, ils dépouillaient des biens temporels les gens qu'ils détournaient des biens spirituels par leurs mauvais exemples. Mais Jésus, comme un bon pasteur, repaissait toujours leurs âmes de sa parole instructive et quelquefois même leurs corps de la nourriture corporelle. Aujourd'hui comme autrefois, combien, hélas ! qui ont le titre de pasteurs et ne rougissent pas de remplir le rôle honteux de loups ! Loin de travailler à l'amendement de leurs sujets, ils nuisent à leur avancement par leur négligence et leur mauvaise conduite. Ils envoient des hommes chargés de lever les dîmes et de confisquer les biens, et non point de réprimer les hérésies ou de corriger les vices; voilà pourquoi les hérésies et les vices pullulent et croissent dans le jardin de l'Église, à tel point qu'il devient presque impossible de les déraciner et de les anéantir.
Ainsi donc les souffrances des brebis et les désordres des pasteurs fournirent à Jésus-Christ l'occasion d'envoyer les Apôtres prêcher le peuple et guérir les malades. Il affranchissait ainsi la foule de la nécessité de le suivre au prix de tant de fatigues. En envoyant d'abord les Apôtres, et puis les soixante-douze disciples, il leur donna plusieurs instructions; comme presque toutes conviennent non seulement aux premiers et aux seconds, mais encore à leurs successeurs et à leurs imitateurs, nous allons les exposer selon l'ordre naturel dans ce chapitre et les suivants.
Jésus, considérant l'affliction des brebis et la négligence des pasteurs, pouvait dire à ses disciples ( Matthieu 9, 37 ) : La moisson est bien grande, c'est-à-dire grande est la multitude préparée pour être récoltée, par la foi et rassemblée dans le grenier. C'est pourquoi il dit ailleurs ( Jean 4, 35 ) : Levez les yeux et considérez les campagnes qui sont déjà blanches et prêtes à être moissonnées. Mais, ajoute-t-il ( Matthieu 9, 37 ) , il y a peu d'ouvriers, c'est-à-dire peu de véritables docteurs et prédicateurs pour convertir une si grande multitude; car les disciples de Jésus-Christ n'avaient pas encore prêché. La moisson présente, c'est la masse des croyants dans laquelle sont encore mêlés le grain et la paille, savoir les bons et les méchants; mais ils seront séparés à la moisson future. Car le terme de moisson désigne tantôt l'ensemble des hommes appelés à la foi et tantôt la réunion des fidèles destinés à l'éternelle récompense. Les ouvriers dans l'Église sont ceux qui cherchent le travail et non le repos, la peine et non l'honneur; qui s'appliquent à gagner les âmes et non à recueillir les dîmes, à rendre des services et non à obtenir des préséances. Mais, hélas ! il y a peu de véritables travailleurs, quoiqu'il y ait beaucoup de gens loués; il y a peu de serviteurs dévoués, et beaucoup de domestiques mercenaires; il y a peu de ministres zélés pour le salut des âmes et beaucoup de trafiquants avides d'argent et de profit temporel. C'est pourquoi, il faut supplier le Seigneur de multiplier les véritables ouvriers; car s'il y a beaucoup d'hommes disposés à recevoir la bonne nouvelle, il s'en trouve peu pour la leur porter. Priez donc le Maître de la moisson, conclut Jésus-Christ ( Matthieu 9, 38 ) ; c'est-à-dire, priez-moi, moi-même qui, en tant que Dieu, suis le Maître de cette moisson, d'envoyer des ouvriers pour moissonner, c'est-à-dire des prédicateurs pour instruire le peuple; car nul ne devient apte à la prédication de la parole divine, s'il n'y est appelé par la grâce de Dieu qui l'envoie par lui-même ou par ses représentants. Voilà assurément une prière aussi excellente que nécessaire; nous devons l'adresser chaque jour à Dieu, afin qu'il envoie des ouvriers légitimes dans sa moisson pour le salut des âmes, et qu'il ne laisse pas s'ingérer dans cette œuvre des voleurs et des larrons. Beaucoup reçoivent cette mission sacrée; mais beaucoup portent leur faux sur une moisson étrangère, savoir sur les biens temporels qui ne sont point de leur juridiction. Quoique le Seigneur se propose d'envoyer des ouvriers, il veut néanmoins qu'on l'en prie; et pourquoi ? sinon pour exciter la charité et augmenter le mérite de ceux qui le prieront; car les fidèles doivent être récompensés non seulement de leurs œuvres, mais encore de leurs affections et de leurs désirs. On voit d'après cela que Dieu, bien que disposé à faire une chose, attend souvent pour la faire qu'il y soit sollicité par les prières des justes.
Jésus, ayant appelé ses douze Apôtres, leur donna le pouvoir de chasser les esprits impurs des possédés, et de guérir toutes sortes de langueurs corporelles et d'infirmités spirituelles ( Matthieu 10, 1 ) . Ces prodiges que le Seigneur opérait par sa propre autorité, les disciples les firent en son nom, en invoquant sa vertu souveraine. Le Vénérable Bède dit à ce sujet ( in chapitre 9 Luc ) : « Le Seigneur rempli de clémence et de bonté n'est point jaloux de ce que ses serviteurs et ses disciples opèrent des prodiges semblables aux siens; et comme il avait guéri lui-même toute langueur et toute infirmité, il conféra le même pouvoir à ses Apôtres. Mais il y a une grande différence entre posséder et accorder, donner et recevoir. Tout ce que fait Jésus-Christ, il le fait par sa vertu; mais si les Apôtres font quelque miracle; ils avouent leur faiblesse et proclament la puissance du Seigneur, en disant aux malades ( Actes 3, 6 ) : Au nom de Jésus, levez-vous et marchez. » Ainsi parle le Vénérable Bède. — Le nombre douze des Apôtres, qui se compose de dix et de deux, signifie qu'eux et leurs successeurs doivent plus parfaitement que les autres hommes accomplir les dix commandements de la Loi et le double précepte de la charité. Aussi le Seigneur les envoya deux à deux, en signe de la charité qu'il exige des prédicateurs, et afin qu'ils se soutinssent mutuellement; car ils étaient encore faibles. Mais, lorsqu'ils furent devenus parfaits, c'est-à-dire après qu'ils eurent reçu le Saint-Esprit, il les envoya indistinctement, soit deux à deux, soit seuls, parce qu'ils étaient alors animés d'une force divine. Il les envoya prêcher le royaume de Dieu ( Luc 9, 2 ) , c'est-à-dire l'Évangile qui promet le royaume de Dieu et enseigne la pénitence comme le chemin pour y tendre et y parvenir. Ou bien simplement, il les envoya prêcher, c'est-à-dire dans leur prédication promettre le royaume de Dieu à ceux qui font pénitence, et en même temps guérir les malades, soit pour le corps, soit pour l'âme. Chaque jour le Sauveur accorde ce même pouvoir aux prédicateurs de l'Évangile, s'ils font ce qui est en eux. N'ont-ils pas la puissance de chasser spirituellement les démons des cœurs, et de guérir les langueurs des vices ?
Ensuite Jésus-Christ indiqua aux Apôtres l'itinéraire à suivre et la conduite à tenir, les choses dont ils devaient user comme celles dont ils devaient s'abstenir, les personnes qu'ils devaient éviter et celles qu'ils ne devaient pas craindre. Nous voyons par ce qui précède et par ce qui suit, qu'il choisit pour prédicateurs des hommes vertueux, pauvres et désintéressés, constants, actifs et bienveillants; car les hommes vicieux et cupides ne doivent pas prêcher le royaume de Dieu. Il envoya donc les douze, en leur donnant les instructions suivantes ( Matthieu 10, 5 ) : N'allez point dans le pays des Gentils, c'est-à dire ne sortez point de la Terre promise pour prêcher aux Gentils; et n'entrez point dans les villes des Samaritains. Les Samaritains étaient bien dans la Terre promise, mais ils étaient en partie Juifs et en partie Gentils, puisqu'en même temps ils recevaient les livres de Moïse et pratiquaient le culte des idoles. Jésus défend alors aux Apôtres d'aller prêcher aux Gentils, car il était convenable que son avènement fut annoncé d'abord aux Juifs pour lesquels spécialement il avait été envoyé; or, comme sa Passion était prochaine, le temps qui devait s'écouler jusqu'alors était nécessaire pour accomplir cette prédication. Voilà pourquoi il ajoute : Allez plutôt aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues par le péché d'idolâtrie et par la prévarication de la Loi. Il ne dit pas qu'ils ne doivent point aller plus tard prêcher aux Gentils; mais ils doivent de préférence porter l'Évangile premièrement aux Juifs, pour leur enlever toute excuse et tout motif de ne pas recevoir le Seigneur et sa nouvelle loi. Eux qui formaient le peuple choisi auraient pu se dire rejetés, si les Apôtres eussent été d'abord envoyés aux nations étrangères. Après la résurrection, lorsqu'il fut sur le point de monter au ciel, le Sauveur dit aux Apôtres ( Marc 16, 15-16 ) : Allez dans le monde entier prêcher l'Évangile à toute créature. Quiconque croira et se fera baptiser sera sauvé; celui qui ne croira pas sera condamné. Selon saint Jérôme ( in chapitre 10 Matthieu ) , le passage précédent : Vous n'irez point dans le pays des Gentils, n'est pas contraire au précepte que Jésus donna plus tard aux mêmes Apôtres, en leur disant : Allez enseigner toutes les nations; car il prononça les premières paroles avant sa résurrection et les secondes après qu'il fut ressuscité. Et il fallait que son avènement fut annoncé premièrement aux Juifs afin qu'ils ne pussent pas dire : Nous n'avons point reçu le Seigneur, parce qu'il a envoyé ses Apôtres aux Gentils et aux Samaritains, Saint Grégoire dit aussi ( Homélie 4 in Évangile ) : Notre Rédempteur voulut que l'on prêchât d'abord l'Évangile aux seuls Juifs et plus tard à tous les Gentils, afin que, si les premiers appelés refusaient de se convertir, les saints prédicateurs allassent ensuite appeler les autres à la foi; de la sorte la prédication du divin Rédempteur devait être portée aux Gentils comme à des peuples étrangers, après qu'elle aurait été rejetée par ses propres enfants.
Selon le sens mystique, nous ne devons pas nous en aller dans les pays ou sur la voie des Gentils ( in viam Gentium ), c'est-à-dire que nous ne devons pas suivre leur manière de vivre. Nous ne devons pas non plus entrer dans les villes des Samaritains, c'est-à-dire dans les conventicules des hérétiques, en adhérant à leurs erreurs. Car, de même que les Samaritains admettaient en partie et rejetaient en partie l'Ancien Testament, de même les hérétiques confessent en partie et rejettent en partie la foi de Jésus-Christ.
Jésus-Christ indique ensuite la forme d'enseignement par ces paroles ( Matthieu 10, 7 ) : Allez donc prêcher en disant que le royaume des deux approche. Comme s'il disait : Annoncez que la porte du royaume céleste va s'ouvrir par la vertu de ma Passion; car ce royaume avant l'avènement du Sauveur était si éloigné que personne ne pouvait y parvenir. Il reçoit diverses dénominations : il est appelé tantôt le royaume de Dieu, à cause de celui qui y règne; et tantôt le royaume des cieux, à cause de ses citoyens les Anges et les Saints qu'on appelle cieux. — Ou bien, c'est comme si Jésus-Christ disait : Le temps approche où le roi des cieux va régner sur les hommes qui lui seront assujettis par la foi et qui seront soumis à sa loi. Ou bien encore, il approche le Messie qui doit donner aux hommes le royaume des cieux. C'est ainsi que Jésus-Christ avec ses disciples commence sa prédication, comme Jean l'avait déjà fait, par annoncer le royaume des cieux.
Mais une doctrine pour être efficacement prêchée doit être solidement appuyée. Aussi, Jésus-Christ ajoute-t-il le mode le plus convenable pour prouver la vérité de sa doctrine, c'est-à-dire les œuvres faites au nom de la puissance divine, lorsqu'il dit ( Matthieu 10, 8 ) : Guérissez ceux qui sont infirmes de corps ou d'esprit; ressuscitez ceux qui sont morts à la vie naturelle ou surnaturelle; purifiez les lépreux, ceux dont la chair ou l'âme sont couvertes de taches; chassez les démons des possédés et les crimes des pécheurs. Nous trouvons ici quatre sortes de miracles pour confirmer la prédication de l'Évangile. L'ordre dans lequel ils sont marqués n'est pas sans mystère; car d'après le sens spirituel, les infirmes sont ceux qui consentent aux tentations, les morts ceux dont les œuvres sont mortelles, les lépreux ceux dont les habitudes sont scandaleuses, et les démoniaques ceux qui méprisent tout. Le Seigneur donna aux Apôtres le pouvoir d'opérer les miracles, pour accréditer leurs enseignements. En effet, dit saint Jérôme ( in chapitre 10 Matthieu ) , de crainte que personne n'ajoutât foi à des hommes grossiers, ignorants et illettrés promettant le royaume des cieux, Jésus leur accorda la vertu de faire des miracles, afin que la grandeur des prodiges prouvât celle des promesses. Saint Grégoire dit également ( Homélie 4 in Évangile ) : Les saints prédicateurs de l'Évangile reçurent le don des miracles, afin de commander la croyance à leur parole par la manifestation de leur puissance extraordinaire; car le merveilleux de leurs actes devait être à la hauteur de celui de leur doctrine. Le même saint Docteur dit encore : Ces prodiges furent nécessaires à la naissance de l'Église, parce que pour prendre des développements la foi des premiers croyants devait être alimentée par des miracles. Aussi, selon la remarque de saint Chrysostôme ( in Psaume 142 ) , les miracles cessèrent dès que l'autorité de la foi fut établie partout, et s'il y en eut plus tard, ils furent bien plus rares et beaucoup moins éclatants.
Ensuite, pour éloigner de la cupidité ses Apôtres, le Sauveur ajoute : Vous avez reçu gratuitement, sans l'acheter, le pouvoir d'opérer des miracles, la faveur de prêcher l'Évangile, la fonction de dispenser les sacrements et d'autres dons spirituels que Dieu vous a conférés; donnez aussi gratuitement et sans le vendre ce que vous avez reçu, de crainte qu'il ne soit plus une grâce, mais qu'il paraisse plutôt une récompense, et que des dons inappréciables par leur nature ne soient avilis aux yeux des hommes, s'ils les voient estimés à prix d'argent. Selon saint Jérôme ( in chapitre 10 Matthieu ) , c'est comme si Jésus-Christ disait : Moi qui suis Maître et Seigneur, je vous ai conféré tous les pouvoirs, sans rien exiger de vous, communiquez-en donc aux autres les effets, sans rien exiger d'eux. D'après saint Chrysostôme ( Homélie 33 in Matthieu ) , en disant à ses Apôtres : Vous avez reçu gratuitement, le Sauveur les prémunit contre l'orgueil qui aurait pu prétendre avoir mérité quelque chose, et en ajoutant : Donnez gratuitement, il les prémunit contre la cupidité qui aurait pu espérer quelque profit matériel. C'est comme s'il leur disait : Quand vous faites un miracle, vous ne faites rien aux autres qui vienne de vous-mêmes; car ce pouvoir, vous ne le possédez point comme un droit que vous ayez acquis par vos biens ou obtenu par vos travaux, tout vient de ma grâce, puisque vous l'avez reçu de moi pour rien, donnez-le aux autres pour rien. D'ailleurs, en ce monde, vous ne pourriez rien trouver qui compensât ce don. » C'est ainsi que saint Chrysostôme commente les paroles du Sauveur. — Écoutez bien, simoniaques, comprenez bien, vous qui ne craignez pas de vendre ou d'acheter les choses spirituelles. Pour les choses spirituelles, telles que l'administration des sacrements, la prédication de l'Évangile, l'opération des miracles et autres semblables, on ne doit rien recevoir en prix, puisque ces grâces sont inappréciables.
Afin que les Apôtres puissent se consacrer librement et entièrement à la prédication de l'Évangile, Jésus les débarrasse de toute sollicitude, en leur disant ( Luc 9, 3.; Matthieu 10, 9-10 ) : Lorsque vous irez prêcher, vous n'emporterez rien en voyage, ni or, ni argent, ni autre monnaie dans votre bourse, afin de pourvoir à vos besoins sur la route; ni sac, ni besace pour y mettre des vivres; ni du pain, qui paraît être l'aliment le plus nécessaire, et encore moins des mets délicats; n'ayez pas deux tuniques, c'est-à-dire d'habits superflus, car un seul vêtement est suffisant; ne portez pas de souliers ou chaussures complètes ( car les Apôtres marchaient avec des sandales ); ne portez pas non plus de bâton pour vous soulager dans vos courses apostoliques. Celui qui a l'appui de Dieu, a-t-il besoin du secours d'un bâton ou de toute autre chose ? Si le Seigneur défend à ses envoyés de se munir d'un bâton et d'autres choses qui paraissent d'une certaine nécessité, que faut-il penser de ceux qui se servent de chevaux richement caparaçonnés et de tant d'autres objets inutiles ? Jésus-Christ s'oppose donc à toute cupidité, à toute occasion d'avarice, à toute préoccupation des besoins temporels; il retranche toute superfluité pour ne permettre que le strict nécessaire. De la sorte, le voyage est plus rapide, la sécurité plus grande, et toute crainte disparaît. C'est ce qui a fait dire au poète Juvénal ( Satir. 10 ) .
Le voyageur qui ne porte rien sur lui chantera devant le voleur.
Cantabit vacuus coram latrone viator.
Toutes les recommandations précédentes ont pour but d'affranchir le prédicateur évangélique des soins temporels. Les biens matériels produisent le trouble et l'inquiétude dans l'esprit, quand on les cherche, et encore plus lorsqu'on les possède; car alors ils sont en quelque sorte incorporés à leur propriétaire qu'ils entraînent plus fortement à l'amour désordonné des richesses. Puisque de telles préoccupations étouffent la parole de Dieu, elles ne doivent pas se trouver chez les prédicateurs de l'Évangile. Selon saint Grégoire le Grand ( Homélie 7 in Évangile ) , le prédicateur doit avoir une si grande confiance en Dieu, que, sans pourvoir aux frais de la vie présente, il doit se tenir assuré de ne manquer de rien. Son esprit ainsi dégagé des soins temporels pourra plus facilement procurer aux autres les biens éternels. En résumé, dit saint Grégoire de Nazianze ( Oratio de Paschate ) , les prédicateurs doivent être remplis de tant de vertus, que leur manière de vivre ne contribue pas moins que leur parole aux progrès de l'Évangile. D'après saint Chrysostôme ( Homélie 33 in Matthieu ) , tout ce que le Seigneur vient de prescrire aux Apôtres, c'est pour leur apprendre qu'ils doivent montrer par leur conduite extérieure combien ils sont loin de désirer les richesses. Et d'après saint Théophile, c'est afin que les hommes entendant les Apôtres prêcher la pauvreté se rendissent à leurs exhortations, en voyant leur complet dénûment. — Pourquoi Jésus-Christ défend-il ainsi expressément aux Apôtres la possession des biens temporels ? C'était une nécessité dans l'Église primitive, afin de prouver que tout était gouverné par la Providence divine; car il fallait montrer les vertus de la foi contre les erreurs des hommes qui attribuaient tous les événements au cours des astres, ou à ce qu'ils appelaient la fortune. La même obligation incombe toujours aux hommes apostoliques, successeurs des premiers envoyés. Mais, hélas ! combien veulent exercer l'autorité de ceux-ci sans imiter leur pauvreté; ils oublient que le royaume des cieux est promis à la pauvreté et non point à l'autorité. Notre-Seigneur fit donc ce commandement aux Apôtres pour trois raisons : 1° pour les détourner de l'ambition et de la cupidité; 2° pour les délivrer de toute sollicitude et de toute crainte pusillanime; 3° pour manifester la puissance de Celui qui les a envoyés, sans que rien leur ait manqué.
Veut-on savoir maintenant si les autres hommes sont obligés à ce commandement, nous répondrons que pour eux c'est un conseil et non un précepte. Mais si nous ne devons pas dédaigner le conseil bon et utile d'un de nos supérieurs, à plus forte raison celui de l'Ange du grand conseil ( Missale Romanum in Introitu Natalis Domini ) , et quiconque y adhérerait en toute confiance, verrait à coup sûr Dieu fournir à toutes ses nécessités. Quand les Apôtres furent envoyés pour prêcher, sans sacs ni provisions, la Providence divine pourvut largement à leur subsistance, et rien ne leur manqua; mais quand les prévaricateurs se relâchèrent de cette rigueur primitive, ils commencèrent alors à souffrir toutes sortes de privations. Et Dieu agit ainsi pour exciter les ministres pauvres à se livrer avec constance aux fonctions de la prédication sans perdre confiance. À ce sujet nous pouvons citer le bel exemple de deux religieux qui avaient traversé la mer pour se rendre en Terre-Sainte. Tant qu'ils se trouvèrent parmi des étrangers, au delà de la mer ou sur la mer, ils ne mirent jamais qu'en Dieu seul leur espérance, et ils ne manquèrent d'aucune chose nécessaire; mais quand ils furent revenus dans leur pays natal, l'un d'eux dit à l'autre : Maintenant nous sommes à l'abri de tous les dangers; nous voilà dans notre patrie, au milieu de connaissances qui nous aideront. Et comme ils plaçaient ainsi leur espérance dans l'homme, ils tombèrent dans l'indigence et endurèrent des privations plus grandes que parmi les infidèles.
Le Seigneur qui vient de confier la charge de la prédication aux Apôtres dépouillés et dépourvus de tout adoucit la sévérité du précepte par la sentence qu'il ajoute : En effet, dit-il ( Matthieu 10, 10 ) , l'ouvrier, c'est-à-dire le prédicateur qui fait l'œuvre de Dieu pour l'utilité du prochain, mérite de recevoir sa nourriture, ou les choses nécessaires à la vie; car avec la nourriture il faut comprendre le vêtement et le logement sans lesquels l'homme ne peut pas vivre convenablement. C'est comme si le Sauveur disait : Recevez autant qu'il vous est nécessaire pour la subsistance et pour l'habillement. C'est ce que l'Apôtre répète, en disant ( 1 Corinthiens 9, 14 ) : Le Seigneur a commandé à ceux qui annoncent l'Évangile de vivre de l'Évangile. Il dit ailleurs ( 1 Timothée 6, 8 ) : Ayant donc de quoi nous nourrir et nous couvrir, nous devons être contents. Nous avons une figure de cette promesse, lorsque le diacre va recevoir la bénédiction du prêtre et comme sa mission du Seigneur pour lire l'Évangile à la messe; alors le sous-diacre porte le pupitre devant le diacre afin de soutenir le livre, comme pour marquer que les fidèles doivent sustenter le prédicateur. Car, selon la déclaration de Jésus-Christ ( Luc 10, 7 ) , celui qui travaille est digne de recevoir sa rétribution, non seulement cette rétribution éternelle qui lui est réservée comme récompense dans la patrie céleste, mais aussi celle qui lui est due pendant le pèlerinage terrestre pour son entretien, c'est-à-dire pour se nourrir, se vêtir et se loger convenablement. Tel est le double honoraire que méritent les bons administrateurs, au témoignage de saint Paul ( 1 Timothée 5, 17 ) . C'est pourquoi saint Grégoire dit ( Homélie in Évangile ) , que la rétribution du prédicateur commence sur la terre pour se compléter au ciel; car pour une seule œuvre il mérite une double rétribution, l'une qui doit le sustenter dans le travail ici-bas, et l'autre qui doit le récompenser à la résurrection dans la patrie. Celui donc qui n'opère pas et ne travaille pas, n'a droit ni à la nourriture ni à aucun salaire.
Ainsi, la raison pour laquelle Jésus-Christ recommande aux Apôtres de ne rien porter avec eux, c'est que le travail leur donne droit à tout ce qui leur est nécessaire. En effet, de droit naturel, divin et humain, quiconque sert la société dans l'ordre spirituel, soit pour le culte du Seigneur, soit pour l'instruction du prochain, doit recevoir de la société ce qu'il lui faut dans l'ordre temporel. Jésus-Christ ne défend donc pas absolument aux Apôtres de porter avec eux les choses indispensables à leur subsistance; il veut seulement montrer que ces choses leur sont dues par ceux qu'ils enseignent. Il ne leur a pas donné ici un précepte pur et simple; mais il a voulu plutôt éloigner de leur cœur l'amour désordonné des richesses, afin qu'ils ne se préoccupassent point des choses superflues et qu'ils se contentassent des choses nécessaires. Aussi, afin qu'ils ne fussent point privés de ces dernières, il leur a donné le pouvoir de les exiger de ceux qu'ils évangéliseraient et de recueillir ainsi des secours matériels tout en semant des biens spirituels. Néanmoins, ceux qui renoncent à leur droit ne désobéissent point au Seigneur. « En effet dit saint Augustin ( Livre 2 de Consol., 30 ) , il paraît bien que le Seigneur n'a pas ordonné aux prédicateurs de vivre seulement des secours fournis par ceux qu'ils évangélisent; autrement, saint Paul aurait transgressé ce précepte, lorsqu'il vivait du travail de ses mains pour n'être à charge à personne; mais, afin d'apprendre aux Apôtres que le nécessaire leur était dû, Jésus-Christ leur a donné seulement le pouvoir de l'exiger. Lorsqu'il a imposé un ordre, on serait coupable de désobéissance si on ne l'accomplissait pas; mais lorsqu'il a donné seulement un pouvoir, une faculté ou permission, on est libre d'user de son droit ou d'y renoncer. » Ainsi parle saint Augustin.
Remarquons avec saint Chrysostôme ( Homélie 33 in Matthieu ) , que si, d'après saint Matthieu et saint Luc, Jésus-Christ recommande de ne point porter de bâton ni de souliers, c'est un conseil qu'il donne pour plus grande perfection; si, au contraire, d'après saint Marc, il recommande de prendre un bâton et de chausser des sandales, ce n'est là qu'une permission. — Quand Jésus-Christ dit aussi de ne pas porter deux tuniques, ces paroles ne doivent pas être prises littéralement, comme saint Jérôme l'explique ( in chapitre 10 Matthieu ) ; mais par une seule tunique, il faut entendre le vêtement nécessaire, et par une seconde tunique le vêtement superflu. Jésus-Christ veut donc dire : Tandis que vous avez un vêtement, n'en portez pas un autre en prévision de l'avenir, et à plus forte raison par ostentation. Il condamne par là ceux qui se couvrent de vêtements précieux, qui en remplissent des coffres et qui chargent leurs chevaux d'habits de rechange. Selon saint Augustin ( Livre 2 de Consol., 30 ) , Notre-Seigneur défend aux Apôtres d'avoir deux tuniques, pour leur ôter la sollicitude d'en porter une autre que celle dont ils étaient revêtus, puisque, s'ils avaient ensuite besoin d'une nouvelle, ils pouvaient la recevoir des fidèles. — Le mot virga qui signifie bâton n'est pas pris dans le même sens en saint Matthieu et en saint Marc. En saint Matthieu, il est employé métaphoriquement comme s'il y avait : Ne prenez pas même un bâton, c'est-à-dire la moindre chose; ou bien, ne vous appuyez pas sur un secours temporel, comme votre corps s'appuie sur un bâton. En saint Marc, virga doit s'entendre littéralement de la sorte : Ne portez rien autre chose qu'un bâton. Toutefois, il peut signifier encore la faculté de recevoir les secours des fidèles, si les Apôtres voulaient en user. Ainsi, les docteurs Juifs tenaient à la main un bâton en signe de l'enseignement qu'ils communiquaient, parce que c'était l'usage que le peuple pourvût à leur subsistance. Jésus-Christ voulait donc que le bâton tînt lieu de toute autre provision à ses disciples; car c'était un signe qu'ils devaient être entretenus par ceux qu'ils évangélisaient. Le Seigneur ne défend donc pas de se munir du nécessaire, mais de se charger du superflu; il interdit aux prédicateurs de l'Évangile l'inquiétude et la sollicitude à l'égard du temporel, ne voulant pas qu'ils s'embarrassent de choses inutiles dans la crainte de manquer du nécessaire.
Jésus-Christ montre ensuite aux Apôtres combien ils doivent s'empresser de porter aux peuples la paiole évangélique quand il ajoute ( Luc 10, 4 ) : Et vous ne saluerez personne en route. Il ne défend pas ici les simples marques de politesse, mais les longs entretiens d'amitié qui seraient une occasion de manquer le cours de la prédication et de retarder le salut des âmes. Ou bien, il leur défend de saluer dans un but de curiosité ceux qu'ils rencontreront, comme font certaines personnes qui ne saluent pas avec l'intention de souhaiter bonheur au prochain; mais il ne leur défend pas de saluer par un motif de charité, pour rendre service et désirer bonheur au prochain. Prédicateurs de la parole divine, apprenez par là quel empressement et quelle activité vous devez mettre dans l'accomplissement de votre charge ! Nulle conversation, même la plus agréable, ne doit vous en détourner pour quelque temps. Pleurez donc beaucoup le temps où vous avez négligé un devoir si important. Que tous les hommes pleurent également le temps qu'ils ravissent aux exercices spirituels de leur état.
Jésus-Christ donne à ses Apôtres la confiance de trouver tous leurs besoins satisfaits, en leur ouvrant toutes les maisons, lorsqu'il dit ( Matthieu 10, 11 ) : En quelque ville ou en quelque village que vous entriez, c'est-à-dire en toutes localités grandes ou petites, informez-vous qui est digne de vous y loger; c'est-à-dire choisissez une maison dont le chef avec sa famille ne soit point suspect, mais fidèle et d'une bonne réputation; car autrement votre réputation et votre dignité apostolique pourraient être compromises, votre prédication et votre doctrine pourraient être méprisées, et votre mission, devenue suspecte, rester sans résultat. Saint Jérôme dit à ce sujet ( In chapitre 10 Matthieu ) : La renommée et le témoignage des voisins doivent vous guider dans le choix de votre hôte, de peur que le déshonneur de celui-ci ne porte atteinte à votre prédication. Vous devez à plus forte raison choisir pour compagnon celui qui semblera le plus digne. Par cette recommandation qu'il donne à ses disciples, le Seigneur apprend à celui qui fait l'hospitalité à se considérer comme l'objet d'une faveur plutôt que comme la dispensateur d'un bienfait.
En quelque maison que vous entriez, pour y recevoir l'hospitalité, demeurez-y, sans en sortir, à moins d'un motif louable, jusqu'à ce que vous alliez ailleurs porter la parole évangélique. Il peut cependant y avoir des causes honnêtes de sortir, comme pour prêcher et remplir toute autre fonction utile; car c'est là le motif qui amène les Apôtres dans une ville ou un village. Jésus-Christ veut seulement défendre ces courses sans but qui sont indignes d'un prédicateur; s'il n'y a pas pour lui nécessité de sortir, il doit vaquer à la contemplation pour y puiser la doctrine qu'il devra répandre sur le peuple.
Jésus exhorte aussi ses Apôtres à la tempérance en leur disant ( Luc 10, 7 ) : Mangez et buvez ce qui se trouve chez vos hôtes, sans chercher ou faire chercher ailleurs des mets délicats et superflus. Mangez ce qui vous est servi et offert de bon cœur, lors même que ce serait peu abondant et très frugal, et gardez-vous de demander des aliments plus copieux ou mieux apprêtés, lors même que vos hôtes pourraient vous les procurer. Vous accomplirez certainement d'autant mieux le précepte qu'il y aura moins d'abondance et plus de frugalité dans votre nourriture. Vous vous rendrez ainsi dignes de prolonger votre séjour dans la même demeure et d'y recevoir les biens de la terre de la part de ceux auxquels vous offrez les biens du ciel : car l'ouvrier est digne de sa rétribution, non seulement de celle qui lui est réservée pour récompense dans la patrie, mais aussi de celle qui est nécessaire à sa subsistance ici-bas.
Jésus-Christ défend encore à ses Apôtres d'aller trop facilement de maison en maison, et de changer d'hôte pour être mieux traités, parce qu'ils pourraient ainsi décrier ceux qui les recevraient. Selon saint Chrysostôme ( Homélie 33 in Matthieu ) , Jésus fait ce commandement aux Apôtres, de peur qu'ils ne soient regardés comme des hommes légers, vagabonds et gourmands, auxquels un seul genre de nourriture ne suffit pas; d'ailleurs ils paraîtraient des ingrats, s'ils semblaient dédaigner, ou s'ils contristaient celui qui les a reçus. Ils trouvent donc ici deux instructions, l'une pour choisir la maison où ils doivent loger, et l'autre pour ne pas changer de maison. Ce n'est pas à dire que le prédicateur ne puisse en changer quelquefois, ou manger ailleurs, surtout pour ne pas trop charger son hôte, pourvu toutefois qu'il se rende chez des personnes dignes et honnêtes. Mais à part des cas spéciaux, le Seigneur a défendu ce changement, pour trois motifs : pour éviter toute légèreté qui ne convient pas dans un prédicateur évangélique; pour empêcher le soupçon de gourmandise de planer sur les Apôtres, parce qu'on a coutume de traiter plus délicatement les nouveaux convives; pour ne pas faire affront au premier qui leur a donné l'hospitalité, parce que s'ils l'abandonnaient sans grave raison, ils sembleraient le regarder comme indigne.
Jésus ordonne ensuite à ses disciples de donner leur bénédiction à la demeure où ils entrent ( Matthieu 10, 12 ) : Lorsque vous entrez dans une maison, dit-il, saluez-la, c'est-à-dire la famille et les personnes qui l'habitent, en disant : Paix à cette maison ou à cette famille. De la sorte, ceux qui reçoivent la nourriture et les choses nécessaires rendront en échange le salut et le bénéfice de la paix. Le prédicateur doit en effet offrir et souhaiter la paix aux habitants de la maison où il entre. Que dis-je ? Il doit non seulement souhaiter la paix, il doit même leur prêcher l'Évangile de Jésus-Christ qui est la bonne nouvelle de la véritable paix, et les exhorter à la paix domestique et fraternelle; il doit procurer le salut des habitants par la sainteté de ses paroles et de ses exemples; c'est ainsi qu'il se montrera le véritable ambassadeur de Jésus-Christ qui est la paix véritable et le salut de tous. Voilà pourquoi les seuls successeurs des Apôtres, savoir, les évêques qui sont les principaux époux de l'Église, ont le droit de saluer le peuple au commencement de la messe, en disant : Pax vobis, la paix soit avec vous; la paix de l'âme par la rémission des péchés, la paix dans le temps et la paix dans l'éternité.
Les Apôtres devaient donc entrer en souhaitant le salut et saluer en souhaitant la paix. Car on doit souhaiter à ceux qui nous reçoivent deux choses : le salut par l'éloignement des maux, et la paix par l'acquisition des biens; le salut par la délivrance de la damnation, et la paix par le bienfait de la réconciliation. Le Seigneur a prescrit cette manière d'entrer et de saluer, afin de nous montrer pourquoi il venait sur la terre; il est venu faire la paix, mettre fin à la guerre, et apprendre aux prédicateurs à parler non point de choses vaines, mais de choses utiles au salut des âmes.
Jésus-Christ ajoute ( Matthieu 10, 13 ) : Et si cette maison est digne de recevoir la paix que vous lui offrirez, c'est-à-dire si la famille qu'elle abrite est prédestinée à la vie éternelle; et s'il y a là quelque enfant de paix ( Luc 10, 6 ) , c'est-à-dire un homme qui aime et désire, qui cherche et garde la paix, un homme disposé à la paix éternelle, votre paix, celle que vous lui annoncez et lui souhaitez, viendra et reposera sur cette maison, parce que votre prière et votre prédication y obtiendront leur effet; les habitants recevront volontiers et pratiqueront votre doctrine qui les conduira à la paix éternelle. Mais si cette maison n'en est pas digne, si elle n'est pas préparée à la vie éternelle et que personne ne veuille y recevoir et pratiquer vos enseignements, vous ne manquerez pas cependant d'en recueillir pour vous-mêmes quelque fruit; car votre paix c'est-à-dire la récompense de la paix que vous avez souhaitée, retournera sur vous; et Dieu vous dédommagera. Cette paix n'aura pas d'effet, il est vrai, à l'égard de ceux à qui vous l'offrirez, mais elle ne restera pas sans fruit à votre égard, parce que Dieu vous accordera le repos pour votre travail et la rétribution pour votre œuvre.
Lorsque quelqu'un ne vous accueillera pas, en vous procurant les choses nécessaires, et n'écoutera pas vos paroles, en suivant vos charitables avertissements ( Matthieu 10, 14 ), sortez de cette maison ou de cette ville en secouant la poussière de vos pieds, afin que ce soit là contre eux un témoignage ou un signe, et cela à un triple point de vue ( Marc 6, 11 ) . Les Juifs qui demandent des signes, comme dit saint Paul ( 1 Corinthiens 1, 22 ) , avaient coutume de faire des actions figuratives ou symboliques. Or le signe que Jésus-Christ indique ici aux Apôtres, était : 1° d'après saint Jérôme ( in chapitre 10 Matthieu ) , pour témoigner de leur travail, et pour protester qu'ils étaient venus en cette ville afin d'y annoncer la parole de Dieu. Secouez donc la poussière, dit Jésus-Christ, c'est-à-dire exposez leur les fatigues du voyage que vous avez endurées pour eux, et ce sera à leur égard le sujet d une condamnation. 2° Comme la poussière est une marque de fatigue, secouer cette poussière, c'est représenter que la fatigue a été sans effet, car on rejette ce qui est inutile. En secouant la poussière de leurs pieds, les Apôtres montraient donc qu'ils s'étaient lassés en vain pour ceux qu'ils avaient visités; et ceux-ci seront inexcusables et condamnés justement pour n'avoir pas voulu accepter le salut qui leur était offert. 3° Par ce signe les Apôtres montraient à ceux qu'ils visitaient qu'ils ne leur demandaient aucun bien terrestre, pas le moindre secours matériel et qu'ils ne voulaient pas même garder à leurs pieds la poussière du sol occupé par ces incorrigibles contempteurs de la parole divine. Ainsi donc les Apôtres ne doivent rien accepter, pas même les choses nécessaires de la part de ceux qui en refusant de se convertir dédaignent l'Évangile dont ils se rendent indignes. — Ou bien, secouez la poussière de vos pieds, c'est-à-dire purifiez-vous des péchés légers qu'ont coutume de commettre en ces circonstances les hommes même parfaits. Selon le sens moral, cet acte que Jésus-Christ ordonne à ses Apôtres signifie qu'ils doivent rejeter de leur cœur le désir des biens de la terre et des éloges du monde. En résumé, d'après tout ce qui précède, Notre-Seigneur défend aux prédicateurs et aux prélats la multiplicité des bagages, la recherche des mets, la cupidité des biens temporels, la superfluité des vêtements, l'instabilité et le commerce avec les méchants.
Pour ne pas laisser croire que c'est une faute légère de ne pas recevoir les Apôtres, le Sauveur ajoute ( Matthieu 10, 15 ) : En vérité je vous le dis, au jour du jugement, Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement que cette ville, c'est-à-dire que ces habitants qui vous ont méprisés ainsi que vos discours. La raison en est, selon saint Jérôme, que la parole divine n'a pas été annoncée à Sodome et à Gomorrhe, comme elle l'a été dans cette ville dont les habitants ne l'ont pas admise. D'après Raban-Maur, les premiers ont transgressé la loi naturelle, mais les seconds allant plus loin ont en outre méprisé la loi écrite, rejeté les enseignements des Prophètes et des Apôtres. Ici Jésus-Christ n'établit pas cette comparaison, par rapport au péché de la chair, en quoi les Sodomites étaient plus gravement coupables; mais par rapport à la violation de l'hospitalité, en quoi ils étaient moins coupables. Car si les Sodomites n'assistaient pas les pauvres comme l'atteste Ézéchiel ( 16, 49 ) , les hommes dont parle Jésus-Christ chassaient les Apôtres qui leur prêchaient l'Évangile. Or on ne peut en douter, refuser la subsistance à ceux qui apportent les biens spirituels, c'est violer le droit naturel, divin et humain, et commettre un péché plus grave que de refuser secours à un simple indigent qui ne nous présente aucun bien spirituel. Car celui qui a reçu davantage est obligé davantage ( Luc 12, 48 ) . Le Vénérable Bède dit à ce sujet ( in chapitre 9 Luc ) : À leurs grands péchés de la chair et de l'âme, les Sodomites ajoutaient l'inhospitalité; mais ils ne reçurent jamais des hôtes aussi recommandables que les Apôtres, Il est vrai qu'ils pouvaient entendre et voir le juste Loth, mais il n'est pas rapporté que Loth leur ait donné quelque instruction, ou ait opéré quelque miracle parmi eux.
Selon Rémi d'Auxerre, Jésus fait spécialement mention des Sodomites et des Gomorrhéens, pour montrer que les péchés les plus odieux au Seigneur sont les péchés contre nature; car c'est pour les punir, que le monde a été submergé dans les eaux du déluge, que les quatre cités coupables ont été ensevelies sous une pluie de soufre et de feu, que les hommes sont affligés chaque jour de différents maux. Aussi, d'après saint Jérôme, le Seigneur voyant avec horreur ce péché de la chair, hésita à s'incarner, parce que la nature qu'il devait prendre avait été corrompue. La souveraine pureté pouvait-elle ne pas détester spécialement une si grande impureté, et pouvait-elle la supporter longtemps ? « Mais, selon la remarque de saint Augustin ( sermon 14 in Verbis Domini ) , ceux qui s'accoutument à faire le mal, finissent par être aveuglés sur celui qu'ils ont habitude de faire; ils défendent même leurs actes coupables, ils s'irritent si on les reprend, et disent, comme autrefois les Sodomites à Loth qui leur reprochait leurs abominations : Vous êtes venu pour chercher une demeure parmi nous et non pour nous donner des lois ( Genèse 19 ) . Dans cette ville, les plus infâmes turpitudes étaient devenues tellement communes, que l'iniquité passait pour un droit, et on blâmait moins celui qui commettait le mal que celui qui l'attaquait. » Ainsi parle saint Augustin. Nous avons une preuve toujours subsistante de la sévérité avec laquelle Dieu punit ce péché; c'est la Mer Morte, ainsi nommée parce qu'elle ne souffre en son sein aucun être vivant; on l'appelle aussi Mer du Diable, car c'est à cause de Satan que les villes, consumées par un feu de soufre, furent englouties dans l'abîme des eaux. On l'appelle encore Mer Maudite; les vapeurs qui s'en dégagent forment une fumée épaisse qu'on dirait sortie de l'enfer. Cette Mer située au delà de Jéricho dont elle n'est pas éloignée, sépare la Judée et l'Arabie; elle a sept lieues de large. Bien que quatre villes aient été détruites pour leurs crimes, Jésus-Christ en mentionne seulement deux, parce qu'elles étaient les plus considérables et les plus fameuses par le nombre de leurs habitants et la grandeur de leurs iniquités.
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