Horaires du 12 au 18 janvier 2025.
Chers paroissiens et amis, veuillez trouver ci-joint le bulletin paroissial du dimanche 12 septembre ainsi que le lien pour vous inscrire au pèlerinage à Rome du diocèse de Lyon présidé par notre évêque à l'occasion de l'année sainte. Si vous êtes intéressés, mieux vaut se dépêcher, il n'y a que 260 places.
Horaires du 5 au 11 janvier.
Homélie sur l'Épiphaniet et le Baptême du Christ
Jean Chrysostome
Contre ceux qui manquent aux assemblées divines; — Du saint et salutaire baptême de Notre-Seigneur Jésus-Christ, — De ceux ( qui commencent indignement; — Que ceux qui se retirent avant la fin du saint sacrifice et des actions de grâces imitent Judas.
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Certains passages semblent indiquer que cette homélie fut prononcée peu de jours après celle qui précède sur la naissance du Sauveur, c'est-à-dire le jour de l'Épiphanie de l'an 387. — D'abord ce qu'on lit dans celte même homélie, paragraphe 4 : Je sais qu'un grand nombre d'entre vous s'approcheront avec empressement de la sainte table, par habitude, à cause de la solennité. Il faudrait, comme je vous l'ai dit souvent ailleurs, qu'on fit moins attention aux fêtes pour communier, qu'à la pureté de sa conscience — Or, notre Saint avait dit à peu près la même chose peu de jours auparavant, pour la fête de saint Philogone, 20 décembre 386, paragraphe 4 : Maintenant un grand nombre de fidèles en sont venus à un tel degré de malice et de mépris, que malgré les crimes dont leur conscience est souillée et sans nul souci de réformer leur vie, on les voit aux jours de fêtes, s'approcher de la table sainte sans préparation et sans crainte.
D'autre part, dans cette même homélie sur le baptême du Sauveur, même paragraphe, on lit : Et quelle est cette faute dont je veux parler ? C'est que nous ne nous approchons pas avec tremblement, mais avec un grand bruit, enflés de colère, criant, nous injuriant, nous frappant et nous renversant les uns les autres dans le plus grand tumulte. Je vous ai dit cela souvent et je ne cesserai de vous le répéter.
Or, dans l'homélie sur la naissance de Notre-Seigneur, paragraphe 7, il est dit : Les exhortations que je vous ai adressées récemment ( c'est-à-dire en la fête de saint Philogone ), je veux vous les répéter encore et je ne cesserai de vous les répéter à l'avenir. Lesquelles, direz-vous ? Lorsque vous vous approchez de cette Table sainte et redoutable, et de ces mystères sacrés, que ce soit avec crainte et tremblement, avec une conscience pure, jeûnant et priant, ne faisant pas de bruit, ne vous frappant pas, ne vous poussant pas les uns les autres
D'où il nous semble très probable que ces trois homélies ont été prononcées en même temps et à peu de jours d'intervalle.
1° Dans celte homélie sur le baptême et l'épiphanie du Sauveur, saint Jean Chrysostome commence par exhorter le peuple à venir à l'église. — 2° Ensuite il traite de la double épiphanie de Jésus-Christ; de sa manifestation aux mages et de sa dernière venue, alors qu'il apparaîtra avec gloire et splendeur à la fin des siècles. — Il rapporte ensuite un miracle au sujet de l'eau du baptême; car comme tous allaient la nuit de l'Épiphanie puiser de cette eau pour la conserver, elle ne se gâtait pas, mais elle demeurait pure, une année entière, quelquefois deux et même trois. — 3° Il explique la différence qui existe entre le baptême des Juifs, celui de Jean et celui de Jésus-Christ. — 4° Il en prend occasion de démontrer comment le Christ a accompli toute justice. — Enfin, il termine en exhortant le peuple à s'approcher des saints mystères avec un grand respect et une grande crainte.
1 . Aujourd'hui, vous êtes tous dans la joie, seul je suis dans la tristesse. En effet, lorsque je tourne mes regards vers cet océan spirituel, contemplant les trésors immenses de l'Église, et qu'ensuite je fais réflexion que cette solennité passée, toute cette foule s'en ira et se dispersera, j'éprouve une douleur qui me déchire, une angoisse qui m'accable, parce que, mère tendre et féconde, l'Église ne peut jouir de ses nombreux enfants à chaque assemblée, mais seulement aux jours de grandes fêtes, Et cependant, quel sujet de joie spirituelle ! quelle allégresse pour nous ! quelle gloire pour Dieu ! quelle utilité pour les âmes ! si à chaque réunion nous voyions l'enceinte du temple ainsi remplie ! Les matelots et les pilotes se hâtent de traverser les flots pour rentrer au port; nous, au contraire, nous luttons pour ne pas quitter la haute mer et toujours battus par les flots des affaires du siècle, sans cesse sur les places publiques et devant les tribunaux, c'est à peine si nous paraissons ici une fois ou deux par an.
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Ne savez-vous donc pas que Dieu a bâti les églises dans les villes comme les ports dans la mer, afin que ceux qui viendront s'y recueillir à l'abri des tempêtes du siècle, y trouvent la tranquillité parfaite. Ici, en effet, vous n'avez rien à redouter : ni la fureur Jes flots, ni les incursions des pirates, ni les attaques des brigands, ni la violence des vents, ni les surprises des animaux sauvages. C'est un port à l'abri de tous les maux, c'est le port spirituel des âmes. Vous m'êtes témoins de la vérité de mes paroles. Si quelqu'un de vous, en effet, interroge sa conscience en ce moment, il trouvera une grande tranquillité intérieure. Pas de colère qui le trouble, pas de cupidité qui le brûle, pas d'envie qui le ronge; l'arrogance ne l'enfle pas, l'amour de la vaine gloire ne le corrompt pas; mais tous ces monstres s'apaisent aussitôt que, semblables à un enchantement divin, les saintes Écritures arrivant par la lecture aux oreilles de chacun ont pénétré jusqu'à l'âme et calmé ces mouvements contraires à la raison. Quel n'est donc pas le malheur de ceux qui, pouvant acquérir une telle sainteté de mœurs, ne s'empressent pas de fréquenter assidûment l'église, notre mère commune ! Pouvez-vous me signaler une occupation plus fructueuse, une réunion plus utile ? Qui vous empêche de venir ici avec nous ? Vous m'alléguerez la pauvreté comme un obstacle qui vous éloigne de cette assemblée magnifique : Ce n'est qu'un vain prétexte. Il y a sept jours dans la semaine, Dieu les a partagés avec nous et il ne s'est pas réservé la plus grande part, en nous laissant la moindre; il n'a pas même fait les parts égales, en prenant trois jours pour lui et nous en laissant trois, mais il nous a donné six jours et il n'en a réservé qu'un pour lui; et vous ne daignez pas même pendant ce jour vous abstenir complétement des affaires terrestres; mais semblables à ceux qui volent le trésor sacré, vous ravissez ce saint jour pour l'employer aux occupations du siècle, vous abusez dans l'intérêt de la vie matérielle de ces instants qui devraient être consacrés aux choses spirituelles.
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Mais pourquoi parler d'un jour entier ? Imitez ce que fit la veuve dans son aumône. Elle ne donna que deux oboles ( Marc 3, 42 et suiv. ), et elle reçut de Dieu une grâce abondante. Donnez, vous aussi, deux heures seulement à Dieu, et vous recueillerez pour votre maison le gain d'une multitude de jours. Si vous méprisez mes avis, craignez qu'en ne voulant pas renoncer pour un faible instant aux profits terrestres, vous ne perdiez le fruit de toutes vos années passées. Dieu a coutume, en effet, de punir le mépris qu'on fait de lui en dissipant les richesses amassées. C'est la menace qu'il adressait aux Juifs, qui négligeaient de venir au temple : Vous avez porté vos biens dans vos maisons et mon souffle les a dissipés, dit le Seigneur ( Aggée 1, 9 ). Si vous ne venez à l'église qu'une ou deux fois l'année, comment, je vous le demande, pourra-t-on vous instruire des choses qui sont nécessaires au salut, comme de la nature de l'âme, de celle du corps, de l'immortalité, du royaume des cieux, des peines de l'enfer, de la miséricorde de Dieu, de sa bonté, du baptême, de la pénitence, de la rémission des péchés, des créatures célestes et terrestres, de la nature des hommes, de celle des anges, de la malice des démons, des ruses de Satan, des mœurs et des dogmes, de la vraie foi, des hérésies engendrées par la corruption ? Ces choses et beaucoup d'autres encore, un chrétien doit les savoir pour en rendre compte à qui l'interrogera. Mais vous n'en connaîtrez pas même la plus faible partie si vous ne venez ici qu'une fois par circonstance, moins par des sentiments de piété que par un reste d'habitude et à cause de la solennité; car c'est à peine si les fidèles qui fréquentent assidûment nos assemblées parviennent à apprendre tout ce qu'il faut savoir. Beaucoup de ceux qui sont ici ont des serviteurs et des enfants. Eh bien ! lorsque vous voulez les faire instruire, vous les confiez à des maîtres que vous avez choisis, vous les éloignez de vous, vous leur fournissez vêtements, nourriture, tout ce dont ils ont besoin, puis vous les envoyez habiter avec leurs maîtres et vous ne permettez pas qu'ils reviennent chez vous, afin que, par une assiduité continuelle, ils profitent mieux, et qu'aucun souci, aucune occupation étrangère à leurs études ne viennent les distraire; et quand il s'agit pour vous d'apprendre non plus une science vulgaire, mais la plus grande de toutes les sciences, la science de plaire à Dieu et d'acquérir les biens célestes, vous croyez qu'il suffit de vous en occuper une ou deux fois par hasard ? Quelle folie ! Doutez-vous que ce soit là une science qui exige beaucoup d'attention ? Écoutez : Apprenez de moi, dit le Seigneur, que je suis doux et humble de cœur ( Matthieu 11, 29 ). Ailleurs, c'est son prophète qui s'exprime ainsi : Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur ( Psaume 33, 12 ). Et encore : Soyez attentifs et voyez que je suis le vrai Dieu ( Psaume 45, 11 ).
Il faut donc une grande application à qui veut acquérir cette science des choses spirituelles.
2. Mais ne passons pas tout notre temps à blâmer ceux qui ont coutume d'être absents; en voilà bien assez pour corriger leur négligence; expliquons un peu la solennité du jour. Car plusieurs célèbrent des fêtes dont ils savent le nom sans en connaître ni l'histoire, ni l'occasion, ni l'origine. Ainsi, personne n'ignore que la fête d'aujourd'hui s'appelle Épiphanie, ou manifestation, mais quelle est cette manifestation ? Y en a-t-il une ou deux ? C'est ce qu'on ne sait pas aussi bien, et chose honteuse non moins que ridicule, on célèbre chaque année cette solennité et on n'en connaît pas le sujet. Il faut donc commencer par faire savoir à votre charité qu'il n'y a pas qu'une manifestation, mais deux : l'une est celle que nous célébrons présentement, l'autre n'est pas encore venue, elle doit se faire avec éclat à la consommation des siècles. Dans ce que vous avez entendu aujourd'hui de saint Paul à Tite, il parle de toutes deux. Voici d'abord pour la présente : Là grâce de Dieu notre Sauveur a paru à tous les hommes, et elle nous a appris que, renonçant à l'impiété et aux passions mondaines, nous devons vivre dans le siècle présent, avec tempérance, avec justice et avec piété. — Ce qui suit se rapporte à la future : Étant toujours dans l'attente de la béatitude que nous espérons, et de l'avènement glorieux du grand Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ ( Tite 3, 11, 12, 17 ). C'est encore dans ce dernier sens que le prophète a dit : Le soleil se changera en ténèbres, et la lune en sang; avant que vienne le jour du Seigneur, jour grand et glorieux ( Joël 2, 31 ). Mais pourquoi n'est-ce pas le jour de la naissance du Sauveur plutôt que celui de son baptême qui est appelé Épiphanie ? Car c'est en ce jour qu'il fut baptisé et qu'il sanctifia les eaux. Aussi, dans cette solennité, vers le milieu de la nuit, tous vont puiser de l'eau qu'ils mettent en réserve dans leurs maisons, pour la garder l'année entière, en mémoire de ce qu'à pareil jour, les eaux ont été sanctifiées. Et par un miracle évident, le temps n'a aucune influence sur la nature de cette eau, car après un an, quelquefois deux et même trois, elle demeure pure et fraîche, et malgré cet espace de temps, on ne la distingue pas de celle qui vient d'être prise à la source. Mais pour quelle cause ce jour est-il appelé manifestation ? Parce que Notre-Seigneur fut manifesté aux hommes, non le jour de sa naissance, mais le jour de son baptême, car jusque-là il était à peu près inconnu. Qu'il n'ait pas été généralement connu, et que la plupart aient ignoré qui il était, c'est ce qui ressort de ces paroles de Jean-Baptiste : Il y a quelqu'un au milieu de vous que vous ne connaissez pas ( Jean 1, 26 ). Et faut-il s'étonner si les autres ne le connaissaient pas quand Jean-Baptiste lui-même l'ignorait jusqu'à ce jour ? Et je ne le connaissais pas moi-même, dit-il, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit, est celui qui baptise dans le Saint-Esprit ( Jean 1, 33 ). D'où il résulte clairement qu'il y a deux manifestations. Mais pourquoi Notre-Seigneur est-il venu se faire baptiser ? C'est ce qu'il nous reste à dire en même temps que nous vous ferons connaître quel baptême il a reçu; car ces deux points sont d'une égale importance. C'est même par la dernière question que nous allons commencer à instruire votre charité, afin de mieux vous faire comprendre la première.
Il y avait le baptême des Juifs qui effaçait les souillures du corps, mais non les péchés qui sont dans la conscience : si quelqu'un avait commis un adultère, un vol ou un autre crime, ce baptême ne les effaçait pas. Mais si on avait touché les ossements des morts, mangé des mets défendus par la loi, si on venait d'un lieu impur, si on avait demeuré avec les lépreux, on se lavait et on était impur jusqu'au soir, après quoi on devenait pur. Il lavera son corps, est-il dit, dans l'eau pure, et il sera impur seulement jusqu'au soir, puis il sera pur ( Lévitique 15, 5 ). Ce n'étaient point là de vrais péchés ni des souillures proprement dites, mais les Juifs étant un peuple grossier et imparfait, Dieu voulait, par les observances légales, les rendre plus religieux et les préparer de longue main à l'observation de prescriptions plus im portantes.
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3. La purification des Juifs n'effaçait donc pas les péchés, mais seulement les souillures corporelles. Il n'en est pas de même de la nôtre qui est bien meilleure et remplie de grâces abondantes, car elle délivre du péché, elle purifie l'âme et donne la grâce du Saint-Esprit. Quant au baptême de Jean, il était de beaucoup supérieur à celui des Juifs, mais inférieur au nôtre; c'était comme le trait d'union qui les unissait et il conduisait de l'un à l'autre. Jean ne portait pas les hommes à observer les purifications corporelles, il les en détournait au contraire pour les exhorter à passer du vice à la vertu, et à placer leurs espérances de salut dans les bonnes œuvres, mais non dans les différents baptêmes et les ablutions. Il ne leur disait pas : lavez vos vêtements et votre corps et vous serez purs, mais bien : Faites de dignes fruits de pénitence ( Matthieu 3, 6 ). Et à ce point de vue le baptême de Jean était supérieur à celui des Juifs, mais inférieur au nôtre, car il ne donnait pas le Saint-Esprit, il ne conférait pas la rémission des péchés par la grâce. Il portait à la pénitence, mais il n'avait pas la puissance de remettre les péchés. C'est pourquoi Jean disait encore : Je vous baptise dans l'eau, mais lui vous baptisera dans l'Esprit-Saint et le feu ( Matthieu 3, 11 ). Donc, lui Jean ne baptisait pas dans l'Esprit. Mais pourquoi dans l'Esprit-Saint et le feu ? C'est pour nous rappeler ce jour où l'on vit comme des langues de feu se reposer sur les apôtres ( Actes 2, 3 ). Que le baptême de Jean fut imparfait, ne conférant ni la grâce du Saint-Esprit ni la rémission des péchés, c'est ce qui résulte des paroles de saint Paul à certains disciples qu'il avait rencontrés : Avez-vous reçu le Saint-Esprit depuis que vous avez embrassé la foi ? Ils lui répondirent : nous n'avons pas seulement entendu dire qu'il y ait un Saint-Esprit. Il leur dit : Quel baptême avez-vous donc reçu ? Ils lui répondirent : le baptême de Jean. Alors Paul leur dit : Jean a baptisé du baptême de la pénitence ( Actes 19, 2-6 ), et non de la rémission. Pourquoi donc baptisait-il ? Il baptisait disant aux peuples qu'ils devaient croire en Celui qui venait après lui, c'est-à-dire en Jésus. Ce qu'ayant entendu ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus. Et après que Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux. Voyez-vous combien le baptême de Jean était imparfait ? Car s'il n'eût pas été imparfait, Paul n'aurait pas baptisé de nouveau, il n'aurait pas imposé les mains et puisqu'il a fait ces deux choses, il a proclamé l'excellence du baptême des apôtres et l'infériorité de l'autre. Nous savons maintenant quelle différence existe entre les trois baptêmes dont nous avons parlé. Mais pourquoi le Sauveur a-t-il été baptisé ? quel baptême a-t-il reçu ? voilà ce qu'il reste à vous apprendre.
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Il n'a reçu ni le premier baptême des Juifs ni le nôtre, car il n'avait pas besoin de la rémission des péchés : elle était même impossible puis qu'il n'y avait point de péché en lui, selon ce mot de saint Pierre : Lui qui n'avait commis aucun péché et de la bouche duquel aucune parole trompeuse n'est sortie ( 1 Pierre, 2, 22 ). Qui de vous me convaincra de péché ? lisons-nous encore dans saint Jean ( 8, 46 ). Sa chair ne pouvait pas recevoir davantage l'Esprit-Saint, puisqu'elle avait pour principe l'Esprit-Saint lui-même qui l'avait formée. Si donc cette chair n'était ni étrangère à l'Esprit-Saint ni sujette au péché, pourquoi la baptiser ? Mais commençons par apprendre quel baptême a reçu Notre-Seigneur et le reste sera de toute évidence. Quel fut donc ce baptême ? Ce ne fut ni celui des Juifs ni le nôtre, mais celui de Jean. Pourquoi ? Afin que la nature même de ce baptême nous apprît que le Sauveur n'avait pas été baptisé à cause de ses péchés, ni parce qu'il manquait de la grâce de l'Esprit-Saint, puisque ce baptême ne possédait ni l'une ni l'autre de ces deux choses, comme il a été démontré. D'où il est clair qu'il ne vint vers Jean ni pour recevoir la rémission de ses péchés, ni pour recevoir l'Esprit-Saint. Et pour qu'aucun de ceux qui étaient présents ne s'imaginât qu'il venait faire pénitence comme les autres, voyez comme Jean a prévenu d'avance cette fausse interprétation. Lui qui criait à tous : Faites de dignes fruits de pénitence ( Matthieu 3, 8 ), dit au Sauveur : C'est moi qui dois être baptisé par vous et vous venez à moi ( Matthieu 3, 14 ). Ce qu'il affirmait pour faire savoir que Notre-Seigneur n'était pas venu par le même besoin que les autres, et que loin d'être baptisé pour le même motif, il était bien au-dessus de Jean-Baptiste lui-même et infiniment plus pur. Mais pour quoi était-il donc baptisé si ce n'était ni par pénitence, ni pour la rémission de ses péchés, ni pour recevoir la plénitude de l'Esprit-Saint ? Pour deux autres motifs dont l'un nous est révélé par le disciple, et l'autre indiqué à Jean par le Sauveur lui-même. Quelle cause de ce baptême Jean nous a-t-il donnée ? Il fallait que le peuple sût, selon le mot de saint Paul, que Jean a baptisé du baptême de la pénitence, afin que tous crussent en Celui qui devait venir après lui ( Actes 21, 4 ). C'était le but de ce baptême. S'il eût fallu parcourir toutes les maisons et faire sortir les gens dehors pour leur montrer le Christ en disant : « Celui-ci est le Fils de Dieu, » un pareil témoignage aurait été suspect et fort difficile. Si Jean eût pris avec lui le Sauveur et fût entré dans la Synagogue pour le montrer, ce témoignage eût été également suspect. Mais qu'en présence du peuple de toutes les villes répandu autour du Jourdain et se pressant sur ses bords, il soit venu Lui-même pour être baptisé, qu'il ait été recommandé par la voix de son Père entendu du ciel, et que le Saint-Esprit se soit reposé sur Lui, sous la forme d'une colombe, voilà qui ne permet plus de douter du témoignage de Jean. C'est pour cela que le saint précurseur ajoute : Moi-même, je ne le connaissais pas ( Jean, 1 ), montrant ainsi que son témoignage est digne de foi. Comme ils étaient parents selon la chair : Voici qu'Élisabeth, votre parente, a conçu elle-même un fils ( Luc 1, 36 ), dit l'ange à Marie en parlant de la mère de Jean, car puisque les mères étaient parentes, il est clair que leurs enfants devaient l'être également : donc, comme ils étaient parents, dans la crainte que cette parenté ne semblât être la cause du témoignage que Jean rendait au Christ, la grâce de l'Esprit-Saint disposa les choses de telle façon que Jean passa sa première jeunesse dans le désert et ainsi son témoignage ne parut point dicté par l'amitié et dans un dessein prémédité, mais inspiré par un avertissement d'en-haut. Voilà pourquoi il dit : Moi-même, je ne le connaissais pas. — Où l'as-tu donc connu ? Celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, m'a dit. Et qu'a-t-il dit ? Celui sur lequel tu verras l'Esprit-Saint descendre comme une colombe et se reposer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit-Saint ( Jean 1, 33 ). Vous le voyez, le texte sacré parle du Saint-Esprit non comme devant descendre pour la première fois sur Jésus-Christ, mais comme devant le montrer, le désigner du doigt pour ainsi dire et le faire connaître à tous. Voilà donc pourquoi Notre-Seigneur vint se faire baptiser.
Il y a encore une autre raison qu'il indique lui-même. Quelle est-elle ? Comme Jean avait dit : Je dois être baptisé par vous et vous venez vers moi, il lui répondit : Laissez faire, il convient que nous accomplissions ainsi toute justice ( Matthieu 3, 14-15 ). Avez-vous remarqué la modestie du serviteur ? l'humilité du maître ? Qu'est-ce accomplir toute justice ? La justice s'entend de l'accomplissement de tous les préceptes de Dieu, comme dans ce passage : Ils étaient tous deux justes devant Dieu et ils marchaient dans la voie de tous les commandements et de toutes les ordonnances du Seigneur, d'une manière irrépréhensible ( Luc 1, 6 ). Tous les hommes devaient accomplir cette justice, mais nul n'y fut fidèle ni ne l'accomplit; c'est pourquoi le Christ paraît, et il accomplit cette justice.
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4. Quelle justice y a-t-il à être baptisé, direz-vous ? Obéir aux prophètes était justice. Et de même que Notre-Seigneur fut circoncis, qu'il offrit le sacrifice, qu'il observa le sabbat, et célébra les fêtes des Juifs, ainsi ajouta-t-il ici ce qui restait à accomplir en se soumettant au prophète qui baptisait. C'était si bien la volonté de Dieu que tous reçussent le baptême, que Jean nous dit : Celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau ( Jean 1, 3 ), et que le Christ lui-même s'exprime ainsi : Le peuple et les publicains sont entrés dans le dessein de Dieu en recevant le baptême de Jean, mais les Pharisiens et les Scribes ont méprisé le conseil de Dieu sur eux n'ayant point reçu le baptême de Jean ( Luc 7, 29 ). Si donc c'est justice d'obéir à Dieu et si Dieu a envoyé Jean pour baptiser le peuple, Notre-Seigneur a accompli ce point de la loi avec tous les autres. Comparez, si vous le voulez, les commandements de la loi à deux cents deniers : il fallait que le genre humain payât cette dette. Nous ne l'avions pas payée et la mort nous saisissait sous le poids de ces prévarications. Le Sauveur étant venu et nous ayant trouvés liés, paya notre dette, acquitta ce que nous devions et délivra ceux qui n'avaient pas de quoi solder. C'est pourquoi il ne dit pas : Il convient que nous fassions ceci ou cela, mais bien que nous accomplissions toute justice. C'est comme s'il disait : Il convient que moi le Maître je paie pour ceux qui n'ont rien. Telle est l'occasion de son baptême, la nécessité de paraître accomplir toute justice et cette cause est à ajouter à celle qui a été donnée plus haut. C'est pourquoi l'Esprit-Saint descendit sous la forme de la colombe qui est le symbole de la réconciliation avec Dieu. — C'est ainsi qu'au temps de l'arche de Noé, la colombe portant dans son bec un rameau d'olivier revint annoncer la miséricorde divine et la fin du déluge. Maintenant encore, c'est sous la forme d'une colombe ( remarquez que je dis forme et non pas corps ), que l'Esprit de Dieu vient annoncer le pardon au monde, et présager en même temps que l'homme spirituel devra être innocent et simple et éloigné du mal, selon cette parole du Christ : Si vous ne vous convertissez et ne devenez semblables aux petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux ( Matthieu 18, 3 ). La première arche est restée sur la terre après le cataclysme, mais la nouvelle arche divine, Notre-Seigneur, est retourné au ciel quand le courroux divin a été apaisé et maintenant son corps innocent et pur est à la droite du Père.
Mais puisque nous venons de parler du corps de Notre-Seigneur, nous devons vous en entretenir un instant, avant de terminer. Je sais qu'un grand nombre d'entre nous s'approchent avec empressement de la table sainte, par habitude, à cause de la solennité. Il faudrait, comme je vous l'ai dit souvent, que l'on considérât autre chose que le temps pour communier, c'est la pureté de la conscience, et non la solennité de tel ou tel jour qui donne le droit de participer à l'hostie sacrée. Car celui qui est coupable et souillé ne doit pas, même aux jours de fête, participer à cette chair sainte et adorable; mais celui qui est pur et qui a lavé ses fautes par une pénitence rigoureuse est digne aux jours de fête, comme en tout autre temps, de participer aux divins mystères et de jouir des dons de Dieu. Cependant, comme quelques-uns, je ne sais pourquoi, ne font nulle attention à cela et que beaucoup, malgré la multitude des crimes dont ils sont souillés, lorsqu'ils voient arriver une fête, sont comme entraînés à participer aux saints mystères que leur état de péché ne leur permettrait pas même de contempler des yeux, nous écarterons impitoyablement ceux que nous saurons indignes, laissant au jugement de Dieu, qui connaît les secrets des cœurs, ceux qui ne nous seront pas connus.
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Mais il est une faute que tous commettent ouvertement et dont nous essayerons de vous corriger. Et quelle est cette faute ? C'est que nous ne nous approchons pas avec tremblement, mais avec un grand bruit de pieds, remplis de mauvaise humeur, criant, nous injuriant, nous frappant, nous heurtant les uns les autres, dans le plus grand tumulte. Je vous ai dit cela souvent, et je ne cesserai de vous le répéter. Voyez ce qui se passe dans les jeux olympiques. Quand le président s'avance dans l'assemblée, couvert de son costume, une couronne sur la tête et une verge à la main, quelle docilité, quel ordre aussitôt que le héraut crie que tous soient silencieux et tranquilles. N'est-il pas étrange que le bon ordre règne dans les pompes du démon, tandis qu'il n'y a que tumulte là où le Christ appelle à lui ? Silence sur les places publiques et clameurs dans les églises ! La tranquillité sur la mer, au port la tempête ! Pourquoi ce bruit, encore une fois ? Qui vous presse ! Est-ce la nécessité des affaires qui vous appelle ! Et ne regardez-vous donc pas comme affaire importante ce que vous faites à cette heure ? Ne pensez-vous donc qu'à la terre qui vous porte ? Croyez-vous être encore dans la société des hommes ? N'est-ce pas l'indice d'un cœur de pierre que de se croire encore sur la terre en ce moment et ne pas être transporté au milieu des anges avec lesquels vous avez fait monter en haut l'hymne mystique, avec lesquels vous avez chanté à Dieu le cantique du triomphe. Notre-Seigneur nous a appelés aigles lorsqu'il a dit : En quelque lieu que soit le corps, les aigles s'y rassembleront ( Luc 17, 37 ). Afin de nous faire comprendre que nous devons monter vers le ciel et nous élever en haut, portés sur les ailes de l'Esprit; mais semblables à des reptiles nous nous traînons à terre, nous mangeons la terre. Faut- il vous dire d'où vient ce bruit et ce tumulte ? De ce que nous ne vous tenons pas les portes fermées durant tout le temps de l'office divin, de ce que nous vous permettons de vous retirer et de rentrer dans vos maisons, avant la dernière action de grâces, et cependant c'est une irrévérence d'en user ainsi. Car enfin, voyons un peu ce que vous faites. À la face du Christ, en présence des saints anges, devant la table sainte, tandis que vos frères participent aux divins mystères, vous vous en allez, vous quittez tout. Mais quand vous êtes invités à un festin, quoique rassasiés les premiers, tant que vos amis sont à table vous n'osez vous séparer d'eux. Et quand il s'agit des saints mystères de Notre-Seigneur, alors que ce sacrifice saint s'accomplit encore, vous oubliez tout respect et vous vous retirez ! Qui pourrait dire que cette conduite soit pardonnable ? Qui pourrait l'excuser ? Faut-il vous apprendre ce que font ceux qui se retirent avant que tout soit entièrement terminé et avant d'offrir les hymnes d'actions de grâces après la Cène ? Ce que je vais dire paraîtra dur sans doute, mais il le faut bien à cause de la négligence du plus grand nombre. Quand, à la dernière cène et dans cette dernière nuit, Judas eut communié, il se précipita dehors et se retira, tandis que les autres apôtres étaient encore à table. Ce sont ses imitateurs qui s'en vont avant la dernière action de grâces. S'il ne fût pas sorti, il n'aurait pas trahi; s'il n'eût pas quitté ses frères, il n'aurait pas péri; s'il ne se fût pas précipité hors du bercail sacré, le loup ne l'aurait pas trouvé seul pour le dévorer; s'il ne s'était pas éloigné lui-même du pasteur, il ne serait pas devenu la proie de la bête féroce. Aussi s'en alla-t-il avec les Juifs tandis que les autres disciples sortirent avec le Seigneur après le cantique d'action de grâces. Voyez-vous comment cette dernière prière que nous faisons après le sacrifice rappelle l'hymne que chantèrent les apôtres ? Maintenant donc, mes bien-aimés, pensons à ces choses, réfléchissons-y et redoutons la damnation qui suivit cette faute de Judas. Dieu vous donne sa propre chair et vous ne lui donnez pas même des paroles en échange ? Vous ne lui rendez pas grâces pour ce que vous avez reçu ? Quand vous avez pris votre nourriture corporelle, après le repas, vous priez; mais quand vous avez participé à la nourriture spirituelle, infiniment au-dessus de toute créature visible et invisible, malgré votre bassesse et votre néant, vous ne prenez pas même le temps de témoigner la moindre reconnaissance soit par des paroles, soit par des actes. N'est-ce pas vous exposer aux derniers supplices ? Ce que je vous dis, non seulement pour vous porter à remercier Dieu, et à éviter le tumulte et les cris, mais afin que dans l'occasion le souvenir de nos exhortations vous rende plus modestes. Il s'agit ici de mystères réels; et qui dit mystère dit aussi le silence le plus absolu. Donc, que ce soit désormais dans le plus grand silence, avec une modestie parfaite, un respect convenable que nous participions à ce sacrifice saint, afin de mériter une plus grande miséricorde de Dieu, de purifier notre âme et d'obtenir les biens éternels.
Qu'il en soit ainsi par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur, à qui soient gloire, empire et adoration, avec le Père et le Saint-Esprit maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. l'abbé Gagey, curé de Millery.
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Regards d'Augustin d'Hippone sur la politique en général et sur la fin de vie en particulier.
Lettre CLV.
Année 411. 392.
Toutes les beautés de la philosophie chrétienne se trouvent dans cette lettre où saint Augustin entretient Macédonius des conditions de la vie heureuse et des devoirs de ceux qui sont à la tête des peuples. Cette lettre est pleine de choses admirables ; elle établit les fondements de la politique chrétienne.
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Augustin, évêque, serviteur du Christ et de sa famille, a son cher fils Macédonius, salut dans le seigneur.
1. Quoique Je ne reconnaisse pas en moi la sagesse que vous m'attribuez, j'ai pourtant de nombreuses actions de grâces à rendre à l'affection si vive et si sincère que vous me témoignez. J'ai du plaisir à penser que les fruits de mes études plaisent à un homme tel que vous ; j'en éprouve bien davantage à voir votre cœur s'attacher à l'amour de l'éternité, de la vérité et de la charité même, à l'amour de ce céleste et divin empire dont le Christ est le souverain, et où seulement on vivra toujours heureux, si on a bien et pieusement vécu en ce monde ; je vois que vous vous en approchez, et je vous aime à cause de votre ardent désir d'y parvenir. De là découle aussi la véritable amitié, amour tout gratuit qui ne tire pas son prix des avantages temporels. Car personne ne peut être véritablement l'ami d'un homme s'il ne l'a été premièrement de la vérité, et si ce dernier amour n'est gratuit, il ne peut exister d'aucune manière.
392-393.
2. Les philosophes aussi ont beaucoup parlé là-dessus ; mais on ne trouve pas en eux la vraie piété, c'est-à-dire le vrai culte du vrai Dieu d'où il faut tirer tous les devoirs de bien vivre ; je pense que leur erreur ne vient pas d'autre chose sinon qu'ils ont voulu se fabriquer en quelque sorte de leur propre fond une vie heureuse et qu'ils ont cru devoir la faire plutôt que de la demander, tandis que Dieu seul la donne. Nul ne peut faire l'homme heureux, si ce n'est Celui qui a fait l'homme. Celui qui accorde de si grands biens aux bons et aux méchants pour qu'ils existent, pour qu'ils soient des hommes, pour qu'ils aient à leur service leurs sens, leurs forces et les richesses de la terre, se donnera lui-même aux bons pour qu'ils soient heureux, et leur bonté même est déjà un présent divin. Mais les hommes qui, dans cette misérable vie, dans les membres mourants, sous le poids d'une chair corruptible, ont voulu être les auteurs et comme les créateurs de leur vie heureuse, n'ont pas pu comprendre comment Dieu résistait à leur orgueil ; ils aspiraient à la vie heureuse par leurs propres vertus et croyaient déjà la tenir, au lieu de la demander à celui qui est la source même des vertus et de l'espérer de sa miséricorde. C'est pourquoi ils sont tombés dans une très absurde erreur, d'un côté, soutenant que le sage était heureux jusque dans le taureau de Phalaris, et forcés, de l'autre, d'avouer que parfois il fallait fuir une vie heureuse. Car ils cèdent aux maux du corps trop accumulés, et, au milieu de l'excès de leurs souffrances, ils sont d'avis de quitter cette vie. Je ne veux pas dire ici quel crime ce serait qu'un homme innocent se tuât ; il ne le doit pas du tout, lors même qu'il serait coupable ; nous avons exposé cela en détail dans le premier des trois livres que vous avez lus avec tant de bienveillance et d'attention. Que l'on voie, sans l'emportement de l'orgueil, mais avec le calme de la modération, si on peut appeler heureuse une vie que le sage ne garde pas pour en jouir et qu'il est amené à s'arracher de ses propres mains.
3. Il y a, comme vous savez, dans Cicéron, à la fin du cinquième livre des Tusculanes, un endroit qui est à considérer ici. En parlant de la cécité du corps, et en affirmant que le sage, même devenu aveugle, peut être heureux, Cicéron énumère beaucoup de choses que ce sage aurait du bonheur à entendre ; de même s'il devenait sourd, il y aurait pour ses yeux des spectacles qui le raviraient et lui donneraient de la félicité. Mais Cicéron n'a pas osé dire que le sage serait encore heureux s'il devenait aveugle et sourd ; seulement si les plus cruelles douleurs du corps s'ajoutent à la privation de l'ouïe et de la vue, et que le malade n'en reçoive pas la mort, Cicéron lui laisse la ressource de se la donner lui-même pour accomplir sa délivrance, par cet acte de vertu, et arriver au port de l'insensibilité. Le sage est donc vaincu par les souffrances extrêmes, et, sous l'étreinte de maux cruels, il commet sur lui-même un homicide. Mais celui qui ne s'épargne pas lui-même pour échapper à de tels maux, qui épargnera-t-il ? Certainement le sage est toujours heureux, certainement nulle calamité ne peut lui ravir la vie heureuse placée en sa propre puissance. Et voilà que dans la cécité et la surdité et les plus cruels tourments du corps, ou bien ce sage perd la vie heureuse, ou bien, s'il la conserve encore dans ces afflictions, il y aura parfois, d'après les raisonnements de ces savants hommes, une vie heureuse, que le sage ne peut pas supporter ; ou, ce qui est plus absurde, qu'il ne doit pas supporter, qu'il doit fuir, briser, rejeter, et dont il doit s'affranchir par le fer ou le poison ou tout autre genre de mort volontaire : c'est ainsi que, selon les épicuriens et quelques autres extravagants, il arrivera au port de l'insensibilité de façon à ne plus être du tout, ou bien trouvera un bonheur qui consistera à être délivré, comme d'une peste, de cette vie heureuse qu'il prétendait mener en ce monde. trop superbe forfanterie ! Si, malgré les souffrances du corps, la vie du sage est encore heureuse, pourquoi n'y demeure-t-il pas pour en jouir ? Si, au contraire, elle est misérable, n'est-ce pas, je vous le demande, l'orgueil qui l'empêche de l'avouer, de prier Dieu et d'adresser ses supplications à la justice et à la miséricorde de Celui qui a la puissance, soit de détourner ou d'adoucir les maux de cette vie ou de nous armer de force pour les supporter ou de nous en délivrer tout à fait, et de nous donner ensuite la vie véritablement heureuse, séparée de tout mal et inséparable du souverain bien ?
393-394.
4. C'est la récompense des âmes pieuses ; dans l'espoir de l'obtenir nous supportons sans l'aimer cette vie temporelle et mortelle ; nous supportons courageusement ses maux par l'inspiration et le don divins, quand, la joie dans le cœur, nous attendons fidèlement l'accomplissement de la promesse que Dieu nous a faite des biens éternels. L'apôtre Paul nous y exhorte lorsqu'il nous parle de ceux qui « se réjouissent dans l'espérance cet qui sont patients dans la tribulation [394-1] ; » il nous montre pourquoi on est patient dans la tribulation en nous disant d'abord qu'on se réjouit dans l'espérance. J'exhorte à cette espérance par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Dieu lui-même notre maître a enseigné cela lorsqu'il a voilé sa majesté sous les apparences d'une chair infirme ; non seulement il l'a enseigné par l'oracle de sa parole, mais encore il l'a confirmé par l'exemple de sa passion et de sa résurrection. Il a montré par l'une ce que nous devons supporter, par l'autre ce que nous devons espérer. Les philosophes dont nous avons rappelé plus haut les erreurs auraient mérité sa grâce si, pleins d'orgueil, ils n'avaient inutilement cherché à se faire, de leur propre fond, cette vie heureuse, dont Dieu seul a promis la possession, après la mort, à ceux qui auront été ses véritables adorateurs. Cicéron a été mieux inspiré quand il a dit : « Cette vie est une mort et je pourrais, si je voulais, faire voir combien elle est déplorable [394-2]. » Si elle est déplorable, comment peut-on la trouver heureuse ? Et puisqu'on en déplore avec raison la misère, pourquoi ne pas convenir qu'elle est misérable ? Je vous en prie donc, homme de bien, accoutumez-vous à être heureux en espérance, pour que vous le soyez aussi en réalité, lorsque la félicité éternelle sera accordée comme récompense à votre persévérante piété.
5. Si la longueur de ma lettre vous fatigue, la faute en est sûrement à vous qui m'avez appelé un sage. Voilà pourquoi j'ose vous parler ainsi, non pas pour faire parade de ma propre sagesse, mais pour montrer en quoi la sagesse doit consister. Elle est dans ce monde le vrai culte du vrai Dieu, afin que Dieu soit son gain assuré et entier dans la vie future. Ici la constance dans la piété, là-haut l'éternité dans le bonheur. Si j'ai en moi quelque chose de cette sagesse qui seule est la véritable, je ne l'ai pas tiré de moi-même, je l'ai tiré de Dieu, et j'espère fidèlement qu'il achèvera en moi ce que je me réjouis humblement qu'il ait commencé ; je ne suis ni incrédule pour ce qu'il ne m'a pas donné encore, ni ingrat pour ce qu'il m'a déjà donné. Si je mérite quelque louange, c'est par sa grâce, ce n'est ni par mon esprit ni par mon mérite ; car les génies les plus pénétrants et les plus élevés sont tombés dans des erreurs d'autant plus grandes qu'ils ont cru avec plus de confiance dans leurs propres forces et n'ont pas demandé humblement et sincèrement à Dieu de leur montrer la voie. Et que sont les mérites des hommes, quels qu'ils soient, puisque celui qui est venu sur la terre, non point avec une récompense due, mais avec une grâce gratuite, a trouvé tous les hommes pécheurs, lui seul étant libre et libérateur du joug du péché ?
6. Si donc la vraie vertu nous plaît, disons-lui, comme dans ses saintes Écritures : « Je vous aimerai, Seigneur, qui êtes ma vertu [394-3] ; » et si véritablement nous voulons être heureux ( ce que nous ne pouvons pas ne pas vouloir ), que notre cœur soit fidèle à ces paroles des mêmes Écritures : « Heureux l'homme dont le nom du Seigneur est l'espérance, et qui n'a point abaissé ses regards sur les vanités et les folies menteuses [394-4] ! » Or, par quelle vanité, par quelle folie, par quel mensonge un homme mortel, menant une vie misérable avec un esprit et un corps sujets au changement, chargé de tant de péchés, exposé à tant de tentations, rempli de tant de corruption, destiné à des peines si méritées, met-il en lui-même sa confiance pour être heureux, lorsque, sans le secours de Dieu, lumière des intelligences, il ne peut pas même préserver de l'erreur ce qu'il a de plus noble dans sa nature, c'est-à-dire l'esprit et la raison ! Rejetons donc les vanités et les folies menteuses des faux philosophes ; car il n'y aura pas de vertu en nous si Dieu ne vient lui-même à notre aide ; pas de bonheur, s'il ne nous fait pas jouir de lui et si, par le don de l'immortalité et de l'incorruptibilité, il n'absorbe tout ce qu'il y a en nous de changeant et de corruptible, et qui n'est qu'un amas de faiblesses et de misères.
7. Nous savons que vous aimez le bien de l'État ; voyez donc comme il est clair, d'après les livres saints, que ce qui fait le bonheur de l'homme fait aussi le bonheur des États. Le prophète rempli de l'Esprit-Saint, parle ainsi dans sa prière : « Délivrez-moi de la main des enfants étrangers, dont la bouche a proféré des paroles de vanité, et dont la main droite est une main d'iniquité. Leurs fils sont comme de nouvelles plantes dans leur jeunesse ; leurs filles sont ajustées et ornées comme un temple ; leurs colliers sont si pleins qu'ils regorgent ; leurs troupeaux s'accroissent de la fécondité de leurs brebis ; leurs vaches sont grasses ; leurs murailles ne sont ni ruinées ni ouvertes, et il n'y a pas de cris dans leurs places publiques. Ils ont proclamé heureux le peuple à qui ces choses appartiennent : heureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu [395-1] ! »
8. Vous le voyez : il n'y a que les enfants étrangers, c'est-à-dire n'appartenant pas à la régénération par laquelle nous sommes faits enfants de Dieu, qui trouvent un peuple heureux à cause de l'accumulation des biens terrestres ; le prophète demande à Dieu de le délivrer de la main de ces étrangers, de peur de se laisser entraîner par eux dans une aussi fausse idée du bonheur de l'homme et dans des péchés impies. Car dans la vanité de leurs discours, « ils ont proclamé heureux le peuple à qui appartiennent ces choses » que David a citées plus haut, et dans lesquelles consiste la seule félicité que recherchent les amis de ce monde ; et c'est pourquoi leur main droite ; est une main d'iniquité, » parce qu'ils ont mis avant ce qu'il aurait fallu mettre après, comme le côté droit passe avant le côté gauche. Si on possède ces sortes de biens, on ne doit pas y placer la vie heureuse ; les choses de ce monde doivent nous être soumises et ne pas être maîtresses ; elles doivent suivre et ne pas mener. Et comme si nous disions au Prophète quand il priait ainsi et demandait d'être délivré et séparé des enfants étrangers qui ont proclamé heureux le peuple à qui appartiennent ces choses ; vous-même, qu'en pensez-vous ? quel est le peuple que vous proclamez heureux ? il ne répond pas : Heureux le peuple qui place sa vertu dans sa force propre ! S'il avait répondu cela, il aurait mis encore une différence entre un tel peuple et celui qui fait consister la vie heureuse dans une visible et corporelle félicité ; mais il ne serait pas allé au delà des vanités et des folies menteuses. « Maudit soit quiconque met son espérance dans l'homme, » disent ailleurs les saintes lettres [395-2] ; personne ne doit donc mettre en soi son espérance, parce qu'il est homme lui-même. C'est pourquoi afin de s'élancer par delà les limites de toutes les vanités et des folies menteuses, et afin de placer la vie heureuse où elle est véritablement, « Heureux, dit le Psalmiste, heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu ! »
9. Vous voyez donc où il faut demander ce que tous désirent, savants et ignorants ; il en est beaucoup qui, par erreur ou par orgueil, ne savent ni qui le donne ni comment on le reçoit. Dans ce psaume divin sont repris en même temps les uns et les autres, ceux qui se confient dans leur vertu et ceux qui se glorifient dans l'abondance de leurs richesses [395-3], c'est-à-dire les philosophes de ce monde et les gens très éloignés de cette philosophie, aux yeux desquels les trésors de la terre suffisent au bonheur d'un peuple. C'est pourquoi demandons au Seigneur notre Dieu qui nous a faits, demandons-lui et la vertu pour triompher des maux de cette vie, et après la mort, la jouissance de la vie heureuse dans son éternité, afin que pour la vertu et pour la récompense de la vertu, « celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur, » comme parle l'Apôtre [395-4]. C'est ce que nous devons vouloir pour nous et pour l'État dont nous sommes citoyens, car le bonheur d'un État ne part pas d'un autre principe que le bonheur de l'homme, puisque l'État n'est autre chose qu'une multitude d'hommes unis entre eux.
395-396.
10. Si donc toute cette prudence par laquelle vous veillez aux intérêts humains, toute cette force par laquelle vous tenez tête à l'iniquité, toute cette tempérance par laquelle vous vous maintenez pur au milieu de la corruption générale, toute cette justice par laquelle vous rendez à chacun ce qui lui appartient, si ces qualités et ces nobles efforts ont pour but la santé, la sécurité et le repos de ceux à qui vous voulez faire du bien ; si votre ambition c'est qu'ils aient des fils comme des plantes bien soutenues, des filles ornées comme des temples, des celliers qui regorgent, des brebis fécondes, des vaches grasses, que les murs de leurs enclos ne présentent aucune ruine, et qu'on n'entende point dans leurs rues les cris de la dispute, vos vertus ne seront point des vertus véritables comme le bonheur de ce peuple-là ne sera pas un vrai bonheur. Cette réserve de mon langage que vous avez bien voulu louer dans votre lettre ne doit pas m'empêcher de dire ici la vérité. Si, je le répèle, votre administration avec les qualités qui l'accompagnent et que je viens de rappeler ne se proposait d'autre fin que de préserver les hommes de toute peine selon la chair, et que vous regardassiez connue une œuvre étrangère à vos devoirs de connaître à quoi ils rapportent ce repos que vous vous efforcez de leur procurer, c'est-à-dire ( pour parler clairement ) ; si vous ne vous occupiez pas de savoir quel culte ils rendent au Dieu véritable, où est tout le fruit d'une vie tranquille, ce grand travail ne vous servirait de rien pour la vie véritablement heureuse.
11. J'ai l'air de parler avec assez de hardiesse, et j'oublie en quelque sorte le langage accoutumé de mes intercessions. Mais si la réserve n'est autre chose qu'une certaine crainte de déplaire, moi, en craignant ici, je ne montre aucune réserve ; car je craindrais d'abord et à bon droit de déplaire à Dieu, ensuite à notre amitié, si je prenais moins de liberté quand il s'agit de vous adresser des exhortations que je crois salutaires. Oui que je sois réservé, lorsque j'intercède auprès de vous pour les autres ; mais lorsque c'est pour vous, il faut que je sois d'autant plus libre que je vous suis plus attaché, car l'amitié se mesure à la fidélité : parler de la sorte, c'est encore agir avec réserve. Si, comme vous l'avez écrit vous-même, « la réserve est auprès des gens de bien la plus puissante manière de vaincre les difficultés, » qu'elle me vienne en aide pour vous auprès de vous, afin que je jouisse de vous en celui qui m'a ouvert la porte vers vous et inspiré cette confiance : surtout parce que les sentiments que je vous suggère sont déjà, je le crois aisément, au fond de votre cœur soutenu et formé de tant de dons divins.
12. Si, comprenant quel est celui de qui vous tenez ces vertus et lui en rendant grâces, vous les rapportez à son culte, même dans l'exercice de vos fonctions ; si, par les saints exemples de votre vie par votre zèle, vos encouragements ou vos menaces, vous dirigez et vous amenez vers Dieu les hommes soumis à votre puissance ; si vous ne travaillez au maintien de leur sécurité que pour les mettre en état de mériter Celui en qui ils trouveront une heureuse vie, alors vos vertus seront de vraies vertus ; grâce à celui de qui vous les avez reçues, elles croîtront et s'achèveront de façon à vous conduire sans aucun doute à la vie véritablement heureuse qui n'est autre que la vie éternelle. Là, on n'aura plus à discerner prudemment le bien et le mal, car le mal n'y sera pas ; ni à supporter courageusement l'adversité, car il n'y aura rien là que nous n'aimions, rien qui puisse exercer notre patience ; ni à réfréner par la tempérance les mauvais désirs, car notre âme en sera à jamais préservée ; ni à secourir avec justice les indigents, car là nous n'aurons plus ni pauvres ni nécessiteux. Il n'y aura plus là qu'une même vertu, et ce qui fera à la fois la vertu et la récompense, c'est ce que chante dans les divines Écritures un homme embrasé de ce saint désir : « Mon bien est de m'unir à Dieu [396-1]. » Là sera la sagesse pleine et sans fin, la vie véritablement heureuse ; car on sera parvenu à l'éternel et souverain bien, dont la possession éternelle est le complément de notre bien. Que cette vertu s'appelle prudence, parce qu'il est prudent de s'attacher à un bien qu'on ne peut pas perdre ; qu'on l'appelle force, parce que nous serons fortement unis à un bien dont rien ne nous séparera ; qu'on l'appelle tempérance, parce que notre union sera chaste, là où jamais il n'y aura corruption ; qu'on l'appelle justice, parce que c'est avec raison qu'on s'attachera au bien auquel on doit demeurer toujours soumis.
13. En cette vie même la vertu n'est autre chose que d'aimer ce qu'on doit aimer ; le choisir, c'est de la prudence ; ne s'en laisser détourner par aucune peine, c'est de la force ; par aucune séduction, c'est de la tempérance ; par aucun orgueil, c'est de la justice. Mais que devons-nous choisir pour notre principal amour si ce n'est ce que nous trouvons de meilleur que toutes choses ? Cet objet de notre amour, c'est Dieu : lui préférer ou lui comparer quelque chose, c'est ne pas savoir nous aimer nous-mêmes. Car nous faisons d'autant plus notre bien que nous allons davantage vers lui que rien n'égale ; nous y allons non pas en marchant, mais en aimant ; et il nous sera d'autant plus présent que notre amour pour lui sera plus pur, car il ne s'étend ni ne s'enferme dans aucun espace. Ce ne sont donc point nos pas, mais nos mœurs qui nous mènent à lui qui est présent partout et tout entier partout. Nos mœurs ne se jugent pas d'après ce qui fait l'objet de nos connaissances, mais l'objet de notre amour : ce sont les bons ou les mauvais amours qui font les bonnes ou les mauvaises mœurs. Ainsi, par notre dépravation, nous restons loin de Dieu qui est la rectitude éternelle ; et nous nous corrigeons en aimant ce qui est droit, afin qu'ainsi redressés, nous puissions nous unir à Lui.
396-397.
14. Si donc nous savons nous aimer nous-mêmes en aimant Dieu, ne négligeons aucun effort pour porter vers lui ceux que nous aimons comme nous-mêmes. Car le Christ, c'est-à-dire la Vérité, nous enseigne que toute la loi et les prophètes sont enfermés dans ces deux préceptes : aimer Dieu de toute âme de tout, cœur, de tout esprit, et aimer notre prochain comme nous-mêmes [397-1]. Le prochain ici, ce n'est pas celui qui est notre proche par les liens du sang, mais par la communauté de la raison qui unit entre eux tous les hommes. Si la raison d'argent fait des associés, combien plus encore la raison de nature, qui ne nous unit point par une loi de commerce, mais par la loi de naissance ! Aussi le poète comique ( car l'éclat de la vérité n'a pas manqué aux beaux génies ), dans une scène où deux vieillards s'entretiennent, fait dire à l'un : « Vos propres affaires vous laissent-elles tant de loisirs que vous puissiez vous occuper de celles d'autrui qui ne vous regardent pas ? » et l'autre vieillard répond : « Je suis homme, et rien d'humain ne m'est étranger [397-2]. » On dit que le théâtre tout entier, quoique les fous et les ignorants n'y manquassent pas, couvrit d'applaudissements ce trait du poète. Ce qui fait l'union des âmes humaines touche tellement au sentiment de tous, qu'il ne se rencontra pas dans cette assemblée un seul homme qui ne se sentît le prochain d'un homme quel qu'il fût.
15. L'homme donc doit aimer Dieu et lui-même et le prochain de cet amour que la loi divine lui commande ; mais trois préceptes n'ont pas été donnés pour cela ; il n'a pas été dit : dans ces trois, mais « dans ces deux préceptes sont enfermés toute la loi et les prophètes : » c'est d'aimer Dieu de tout cœur, de toute âme, de tout esprit, et d'aimer son prochain comme soi-même. Par là nous devons entendre que l'amour de nous-mêmes n'est pas différent de l'amour de Dieu. Car s'aimer autrement c'est plutôt se haïr ; l'homme alors devient injuste ; il est privé de la lumière de la justice, lorsque se détournant du meilleur bien pour se tourner vers lui-même, il tombe à ce qui est inférieur et misérable. Alors s'accomplit en lui ce qui est écrit : « Celui qui aime l'iniquité hait son âme [397-3]. » C'est pourquoi, nul ne s'aimant lui-même s'il n'aime Dieu, après le précepte de l'amour de Dieu il n'était pas besoin d'ordonner encore à l'homme de s'aimer, puisqu'il s'aime en aimant Dieu. Il doit donc aimer le prochain comme lui-même afin d'amener, lorsqu'il le peut, l'homme au culte de Dieu, soit par des bienfaits qui consolent, soit par des instructions salutaires, soit par d'utiles reproches : il sait que dans ces deux préceptes sont enfermés toute la loi et les prophètes.
16. Celui qui, par un bon discernement, fait de ce devoir son partage, est prudent ; ne s'en laisser détourner par aucun tourment, c'est être fort ; par aucun autre plaisir, c'est être tempérant ; par aucun orgueil c'est être juste. Quand on a obtenu de Dieu ces vertus par la grâce du Médiateur qui est Dieu avec le Père, et homme avec nous ; de Jésus-Christ, qui, après que le péché nous a faits ennemis de Dieu, nous réconcilie avec lui dans l'Esprit de charité ; quand on a, dis-je, obtenu de Dieu ces vertus, on mène en ce monde une bonne vie, et, comme récompense, on reçoit ensuite la vie heureuse qui ne peut pas ne pas être éternelle. Les mêmes vertus qui sont ici des actes ont là-haut leur effet ; ici c'est l'œuvre, là-haut la récompense ; ici le devoir ; là-haut la fin. C'est pourquoi tous les bons et les saints, même au milieu des tourments où le secours divin ne leur manque pas, sont appelés heureux par l'espérance de cette fin qui sera leur bonheur : s'ils demeuraient toujours dans les mêmes supplices et les mêmes douleurs, il faudrait les appeler malheureux, malgré toutes leurs vertus.
17. La piété, c'est-à-dire le vrai culte du vrai Dieu, sert donc à tout ; elle détourne ou adoucit les misères de cette vie, elle conduit à cette vie et à ce salut où nous n'aurons plus de mal à souffrir, où nous jouirons de l'éternel et souverain bien. Je vous exhorte, comme je m'exhorte moi-même, à vous montrer de plus en plus parfait dans cette voie de piété et à y persévérer. Si vous n'y marchiez pas, si vous n'étiez pas d'avis de faire servir à la piété les honneurs dont vous êtes revêtus, vous n'auriez pas dit, dans votre ordonnance destinée à ramener à l'unité et à la paix du Christ les donatistes hérétiques : « C'est pour vous que cela se fait ; c'est pour vous que travaillent et les prêtres d'une foi incorruptible et l'empereur, et nous-mêmes qui sommes ses juges ; » vous n'auriez pas dit beaucoup d'autres choses qui se trouvent dans cette ordonnance et par où vous avez fait voir que votre magistrature de la terre ne vous empêche pas de beaucoup penser à l'empire du ciel. Si donc j'ai voulu parler longtemps avec vous des vertus véritables et de la vie véritablement heureuse, j'aimerais à espérer que je n'ai pas été trop à charge à un homme aussi occupé que vous ; j'en ai même la confiance, lorsque je songe à ce grand et admirable esprit qui fait que, sans négliger les pénibles devoirs de votre dignité, vous vous appliquez plus volontiers à ces intérêts plus élevés.
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[394-1] Rom. XII, 12.
[394-2] In Tusc. quaest.
[394-3] Ps. XVII, 2.
[394-4] Ibid. XXXIX, 5.
[395-1] Ps. CXLIII. 11-15.
[395-2] Jérémie XVIII, 11-15.
[395-3] Ps. XLVIII, 7.
[395-4] II Cor. X, 17.
[396-1] Ps. LXXII, 28.
[397-1] Matth. XII, 37-40.
[397-2] Térence. Heautontimorumenos ( l'homme qui se punit lui-même ), acte I, scène 1.
[397-3] Ps. X, 6.
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