Le père Matteo, notre curé.
Horaires du 15 au 21 juin 2025.
Horaires du 8 au 14 juin.
Saint Bernard
Le Saint-Esprit en nous.
1. L'Esprit-Saint, dont nous faisons aujourd'hui la fête, d'une manière toute particulière, plût au ciel que ce fût aussi avec une dévotion toute particulière, m'est témoin du bonheur avec lequel je vous ferais part de toutes les inspirations de la grâce d'en haut, si j'en recevais quelques unes, oui, il le sait, dis-je, cet Esprit qui vous a réunis, non seulement dans une même cité, mais dans une même demeure, afin d'y descendre sur vous, et de se reposer sur vous, mes frères bien-aimés, qui avez le cœur humble, et écoutez ses paroles avec tremblement. C'est le même esprit qui a couvert la vierge Marie de son ombre, et fortifié les apôtres d'un côté, pour tempérer l'effet de l'arrivée de la divinité dans le sein de cette vierge, et de l'autre pour revêtir les apôtres de la vertu d'en haut, je veux dire de la plus ardente charité. C'est, en effet, la cuirasse dont se recouvrit le collège apostolique tout entier, comme un géant, qui se prépare à se venger des nations, et à châtier les peuples, à lier leurs rois en chargeant leurs pieds de chaînes, et les grands d'entre eux, en leur mettant les fers aux mains ( Psaume 149, 7-8 ), car ils étaient envoyés vers la maison du fort armé, pour le garrotter et s'emparer de tous ses meubles, il leur fallait donc une force plus grande que la sienne. Quelle mission n'aurait-ce point été pour leur faiblesse, de triompher de la mort, et de ne point laisser les portes de l'enfer prévaloir contre eux, s'ils n'avaient eu, vivante au fond de leur cœur, pour triompher par elle, une charité aussi forte que la mort même, un zèle aussi inflexible que l'enfer ( Cantique 8, 6 ) ? Or, c'est de ce zèle qu'ils faisaient preuve, quand on les prit pour des hommes ivres ( Actes 2, 13 ). Ils l'étaient, en effet, mais non du vin que pensaient ceux qui ne croyaient pas à leur parole. Oui, dis je, ils étaient ivres, mais d'un vin nouveau, dont de vieilles outres étaient indignes, et que, d'ailleurs, elles n'auraient pu contenir. Ce vin, c'était celui que la vraie vigne avait laissé couler du haut du ciel, un vin capable de réjouir le mur de l'homme, non point de troubler son esprit ; un vin qui fait germer les vierges, et ne force point les sages à apostasier le sagesse. C'était un vin nouveau pour les habitants de la terre, car, pour ceux du ciel, il se trouvait jadis en extrême abondance, non dans des outres de peaux, ou dans des vases de terre, mais dans des celliers à vin, dans des outres spirituelles. Il coulait à flot, dans les rues et les places de la sainte cité, où il répandait la joie du cœur, non la luxure de la chair, car les habitants de la terre et les enfants des hommes n'avaient point de vin de cette nature.
Commerce entre le ciel et la terre le jour de la Pentecôte.
2. Ainsi, il y avait au ciel un vin particulier que la terre ignorait mais la terre avait aussi un produit qui lui était propre, c'est la chair du Christ, dont elle était fière, et dont les cieux ambitionnaient la vue. Qui donc empêche qu'il ne se fasse un fidèle commerce entre le ciel et la terre, entre les anges et les apôtres, un échange de la chair du Christ entre les uns et les autres, en sorte que la terre possède l'Esprit-Saint, et le ciel, la chair du Christ, et que l'un et l'autre soient à jamais possédés en commun par la terre et par les cieux en même temps ? Jésus avait dit : « Si je ne m'en vais, le Paraclet ne viendra point à vous ( Jean 16, 7. ) » C'était dire : Si vous ne cédez l'objet de votre amour, vous n'aurez point celui de vos désirs ; il vous est donc avantageux que je m'en aille et que je vous transporte de la terre au ciel, de la chair à l'esprit, car le Père est esprit, le Fils est esprit, et l'Esprit-Saint est esprit aussi. Enfin le Christ est un esprit devant nos yeux. Or, le Père étant esprit cherche des adorateurs qui l'adorent en esprit et en vérité. Quant au Saint-Esprit, il semble avoir reçu le nom d'esprit par excellence, parce qu'il procède du Père et du fils, et se trouve être le lien le plus ferme et le plus indissoluble de la Trinité, et celui de saint également en propre, parce qu'il est un don du Père et du Fils et qu'il sanctifie toute créature. Mais le Père n'en est pas moins aussi esprit et saint ; de même que le Fils est également saint et esprit, le Fils, dis-je, « de qui, en qui et par qui toutes choses sont ( Romains 11, 36 ), » selon le mot de l'Apôtre.
Sagesse de Dieu dans la création.
3. Il y a trois choses dans l'œuvre de ce monde qui doivent attirer nos pensées : qu'est ce que le monde, comment existe-t-il, et pourquoi a-t-il été fait ? Dans la création des êtres éclate, d'une manière admirable, la puissance qui a créé tant et de si grandes choses, en si grand nombre et avec tant de magnificence. Dans la manière dont elles ont été faites, se montre une sagesse unique qui a placé les uns en haut, les autres en bas et d'autres encore au milieu. Si nous réfléchissons sur la fin pour lesquelles toutes ces choses ont été faites, nous trouvons, en elles toutes, la preuve d'une si utile bonté et d'une si bonne utilité, qu'il y a en elles de quoi accabler sous la multitude et la grandeur des bienfaits dont elles sont pleines pour nous, les plus ingrats des hommes. Dieu a donc montré sa puissance infinie, en faisant tout de rien, d'une sagesse égale, en ne faisant rien que de beau, et d'une bonté pareille à sa sagesse et à sa puissance, en ne créant rien que d'utile.
Quels sont les hommes charnels.
Mais nous savons qu'il y eut, dès le commencement, et nous voyons tous les jours qu'il y en a beaucoup parmi les enfants des hommes, que les biens de l'ordre mystérieux et sensible de la nature tiennent courbés sous les jouissances sensuelles, bien des hommes, dis-je, qui se sont donnés tout entiers aux choses créées sans se demander jamais ni comment, ni pourquoi elles ont été créées. Comment les appellerons-nous, sinon hommes charnels ?
Philosophes curieux et vains.
Il y en a bien quelques-uns, je pense, et l'histoire nous apprend qu'il en a existé plusieurs dans ces dispositions-là, dont le goût unique et la suprême occupation sont de rechercher ce que Dieu a fait, et comment il l'a fait, d'une manière si exclusive, que non seulement, pour la plupart, ils ont négligé de s'enquérir de l'utilité des choses, mais sont allés même jusqu'à les mépriser avec magnanimité, et à se contenter d'une nourriture à peine suffisante et vile. Ces gens-là se sont donné à eux-mêmes le titre de philosophes ; quant à moi, pour les appeler par leur véritable nom, je dirai que ce sont des hommes curieux et vains.
C'est le propre du sage de rechercher dans les choses créées la fin pour laquelle elles ont été créées.
4. À ces deux espèces d'hommes en ont succédé de beaucoup plus sages qui, comptant pour peu de chose de savoir ce que Dieu a fait et comment il l'a fait, ont appliqué toute la sagacité de leur esprit à découvrir pour quelle fin il l'a fait, aussi ne leur a-t-il point échappé que tout ce que Dieu a fait, il l'a fait pour lui et pour les siens ; non pas toutefois de la même manière pour lui que pour les siens. Quand nous disons qu'il a fait tout pour lui ( Proverbes ), notre pensée se reporte à celui qui est l'origine et la source même des choses ; et quand nous disons il a fait « tout pour les siens, » nous avons en vue les conséquences de ce qu il a fait. Il a donc fait toute chose pour lui, par une bonté gratuite, et il a fait toutes choses pour ses élus, c'est-à-dire en vue de leur utilité, en sorte que dans le premier cas, nous avons la cause efficiente des êtres, et dans le second nous en trouvons la cause finale.
Quels sont les hommes spirituels.
Les Hommes spirituels sont donc ceux qui usent de ce monde comme s'ils n'en usaient pas, et qui cherchent Dieu dans la simplicité de leur âme, sans se mettre beaucoup en peine de savoir de quelle manière tourne la machine du monde. Ainsi les premiers sont pleins de volupté, les seconds de vanité et les troisièmes de vérité.
5. Je suis heureux, mes frères, que vous apparteniez à l'école de ces derniers, c'est-à-dire à l'école du Saint-Esprit, où vous apprendrez la bonté, la discipline et la science et où vous pourriez vous écrier : J'ai eu plus d'intelligence que tous ceux qui m'instruisaient ( Psaumes 118, 99 ). Pourquoi cela ? Est-ce parce que je me suis paré de vêtements de pourpre et de lin, parce que je me suis assis à des tables mieux servies que le reste des hommes ? Est-ce parce que j'ai compris quelque chose aux arguties de Platon, aux artifices d'Aristote, ou parce que je me suis donné bien du mal pour les comprendre ? Non, non, mais parce que « j'ai recherché vos commandements, ô mon Dieu ( Ibidem 100 ). »
Il y a trois sortes d'esprits.
Heureux celui qui repose sur ce lit nuptial du Saint-Esprit, pour comprendre ces trois sortes d'esprits dont le même serviteur de Dieu, dans son intelligence qui dépassait celle des vieillards, disait dans ses chants : « Seigneur ne me rejetez point de devant votre face, et ne retirez pas votre Saint-Esprit de moi : créez en moi, ô mon Dieu, un cœur pur, et rétablissez de nouveau un esprit droit au fond de mes entrailles ; rendez-moi la joie de votre salutaire assistance et affermissez-moi par la grâce de votre esprit principal ( Psaume 50, 11-13. ) »
Que faut-il entendre par un esprit saint.
Par les mots esprit saint, il faut comprendre le Saint-Esprit lui-même. Le Prophète demande donc de ne pas être rejeté de sa face comme un être immonde, parce que cet esprit a horreur de ce qui est souillé et ne saurait habiter dans un corps sujet au péché. Celui qui par sa nature repousse le péché, ne peut pas ne point haïr tout ce qui est péché, et certainement on ne rencontrera jamais ensemble tant de pureté et tant d'impureté sous le même toit. Aussi après avoir reçu le Saint-Esprit, par la justification sans laquelle nul ne saurait voir Dieu, on peut oser se présenter devant sa face comme étant net et pur de toute souillure, attendu qu'on se retient de toute espèce de maux quand on soumet toutes ses actions sinon toutes ses pensées au frein.
6. Comme toute pensée mauvaise et immonde nous éloigne de Dieu, nous demandons donc à Dieu de créer un cœur pur en nous, ce qui ne peut manquer d'arriver dès qu'un esprit droit s'est renouvelé dans nos entrailles.
Qu'est-ce que l'esprit droit.
Quant à ce qui est de cet esprit droit dont parle le Prophète, il me semble qu'on peut parfaitement l'entendre de la personne du Fils, car c'est lui qui nous a dépouillés du vieil homme et revêtus de l'homme nouveau, lui aussi qui nous a renouvelés dans le fond même de notre âme ( Éphésiens 4, 13 ), et comme dans le plus intime de nos entrailles, pour que nous n'ayons que des pensées droites et que nous marchions dans la nouveauté de l'esprit, non dans la vieillesse de la lettre ( Romains 7, 6 ). Car il nous a apporté du ciel la forme de la droiture qu'il a laissée sur la terre, mettant et mêlant ensemble la douceur à la droiture en toutes ses œuvres, ainsi que le même prophète l'avait prédit en disant : « Le Seigneur est plein de douceur et de droiture, et c'est pour cela qu'il donnera sa loi à ceux qui pèchent dans leur voie ( Psaume 24, 8 ). » Ainsi donc lorsque notre corps est châtié par la sainteté des œuvres, et notre cœur purifié ou plutôt renouvelé par la rectitude des pensées, alors il nous rendra la joie du salut, en sorte que nous marchions à la lumière de sa face et que nous nous réjouissions tout le jour en son nom.
Qu'est-ce que l'esprit principal.
7. Alors que reste-t-il à faire, sinon à nous confirmer par l'esprit principal, c'est-à-dire par le Père ? car c'est ce que nous devons entendre par ces mots, l'esprit principal. Non pas qu'il l'ait plus grand que le Fils et le Saint-Esprit, mais parce que seul il ne vient d'aucune autre personne, le Fils, au contraire, vient de lui, et le Saint-Esprit vient du Père et du Fils. Or, en quoi nous confirme-t-il, sinon dans la charité ? Quel autre don est, en effet, plus digne de lui, plus véritablement paternel ? « Qui donc, s'écrie l'Apôtre, nous séparera de l'amour de Jésus-Christ ? Sera-ce l'affliction ou les épreuves, sera-ce la faim ou la nudité, les périls, la persécution ou la crainte de l'épée ( Romains 8, 35 ) ? » Soyez certains, mes frères, que ni la mort, ni la vie, ni aucune des choses que l'Apôtre énumère avec autant d'entrain que d'audace, ne saurait nous séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ. Est-ce que cela ne montre pas en tout point la force de cette proposition ?
Signes auxquels on reconnaît la présence du Saint-Esprit dans les âmes.
Si vous savez conserver le vase fragile de votre chair en toute sainteté et en tout honneur, exempt de tous les mouvements de la concupiscence ( 1 Thessaloniciens 4, 4 ), vous avez reçu le Saint-Esprit. Êtes-vous dans l'intention de faire aux autres ce que vous voudriez qu'on vous fît, et de ne point leur faire ce que vous ne voudriez pas qu'ils vous fissent, vous avez reçu un esprit de droiture en ce qui concerne votre conduite envers le prochain. Car cette droiture est commandée en même temps par la loi naturelle, et par la loi révélée dans les Saintes Écritures. Si vous persévérez fermement dans ces deux sortes de bien et dans tout ce qui s'y rattache, vous avez reçu l'esprit principal, celui seul que Dieu approuve. D'ailleurs, celui qui est l'être par excellence ne saurait avoir pour agréable, ce qui tantôt est, et tantôt n'est plus, et l'éternel ne peut se complaire dans tout ce qui est caduc. Si donc vous avez à cœur que Dieu établisse en vous sa demeure, n'ayez qu'une pensée, celle d'avoir pour vous un esprit saint, pour le prochain un esprit droit, et pour celui qui est le prince et le vrai père des esprits, un esprit principal.
Le Saint-Esprit se donne aux hommes de bien de beaucoup de manières.
8. On peut bien dire en vérité que c'est un esprit multiple que celui qui se communique aux enfants des hommes de tant de manières différentes, qu'il n'est personne qui puisse se soustraire à sa chaleur bienfaisante. En effet, il se communique à nous pour l'usage, pour les miracles et pour le salut, pour l'aide, pour la consolation et pour la ferveur. Il se communique d'abord pour l'usage, en donnant aux bons et aux méchants, aux dignes et aux indignes, avec une grande abondance tous les bien communs de la vie, tellement que sur ce point il ne semble faire aucune distinction entre les uns et les autres, aussi faut-il être bien ingrat pour ne pas reconnaître dans ces biens les dons du Saint-Esprit. Pour le miracle, dans les merveilles, dans les prodiges et dans les différentes vertus qu'il opère par la main de qui il lui plaît. C'est lui qui a renouvelé les miracles des anciens temps, afin de nous faire croire aux merveilles des temps passés, par la vue de celles qui se produisent de nos jours. Mais comme le pouvoir des miracles est accordé quelquefois à certains hommes, sans qu'ils s'en servent pour leur propre salut, le Saint-Esprit se communique en troisième lieu à nous, pour le salut, lorsque nous nous convertissons au Seigneur notre Dieu de tout notre cœur. Il nous est donné pour l'aide, lorsqu'il vient au secours de notre faiblesse dans toutes nos luttes ; mais lorsqu'il rend témoignage à notre esprit, que nous sommes enfants de Dieu, il vient à nous pour la consolation ; il se donne enfin pour la ferveur, lorsque dirigeant son souffle puissant dans le cœur des saints, il y allume le violent incendie de l'amour qui fait que nous nous glorifions non seulement dans l'espérance des enfants de Dieu, mais même dans nos tribulations, recevant les avanies comme un honneur, les affronts comme une joie, les humiliations enfin comme une élévation. Nous avons tous reçu le Saint-Esprit pour le salut, si je ne me trompe, mais je ne pense pas qu'on puisse dire de même que nous l'avons tous reçu pour la ferveur.
Peu d'hommes ont reçu le Saint-Esprit pour la ferveur.
En effet, il y en a bien peu qui soient remplis de ce dernier esprit-là, et bien peu qui cherchent à l'avoir. Satisfaits dans les entraves où nous nous trouvons, nous ne faisons rien pour respirer en liberté, rien même pour aspirer à cette liberté. Prions donc, mes frères, que les jours de la Pentecôte, ces jours de détente et de joie, ces vrais jours de Jubilé s'accomplissent en nous. Puisse le Saint-Esprit nous retrouver toujours tous ensemble, unis de corps, unis également de cœur, et rassemblés dans le même lieu, en vertu de notre promesse de stabilité, à la louange et à la gloire de l'Epoux de l'Église, Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est élevé par dessus tout, étant Dieu, et béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
⁂
Il a donné le Saint-Esprit!
Saint Jean Chrysostome.
1. Après avoir beaucoup parlé et dit de grandes choses d'Abraham, de sa foi, de sa justice, de l'honneur que Dieu lui a fait, de peur que l'auditeur ne dise : Qu'est-ce que cela nous fait ? C'est lui qui a été justifié ; il nous rapproche du patriarche. Telle est la vertu des paroles spirituelles. Le Gentil, le nouveau-venu, celui qui n'a rien fait, non seulement l'apôtre a affirmé qu'il n'est point au-dessous du Juif fidèle, mais pas même au-dessous du patriarche ; bien plus, chose étonnante ! il le place fort au-dessus. Telle est, en effet, notre noblesse, que la foi d'Abraham est devenue la figure de la nôtre. Paul ne dit pas : Si cela lui a été imputé à justice, il est probable qu'il nous sera aussi imputé ; il ne s'appuie pas sur un raisonnement humain ; mais il parle d'après l'autorité des lois divines et réduit tout à une sentence de l'Écriture. Pourquoi, nous dit-il, cela est-il écrit, sinon pour nous apprendre que nous avons été justifiés de la même manière ? Car nous croyons au même Dieu, pour les mêmes objets, quoique non dans les mêmes personnes. Mais en parlant de notre foi, il parle aussi de l'immense bonté de Dieu, qu'il nous remet sans cesse sous les yeux, en rappelant le souvenir de la croix : ce qu'il fait ici en ces termes : « Qui a été livré pour nos péchés, et qui est ressuscité pour notre justification ».
Voyez comment après avoir marqué la cause de la mort du Sauveur, il en tire une démonstration de sa résurrection. Pourquoi, dit-il, Jésus a-t-il été crucifié ? Ce n'est pas pour ses péchés, comme sa résurrection le prouve. Car s'il eût été pécheur, comment serait-il ressuscité ? Sa résurrection prouve donc clairement qu'il n'était point pécheur. Mais s'il ne l'était point, comment a-t-il été crucifié ? Pour d'autres. Si c'est pour d'autres, il est nécessairement ressuscité. Et pour que vous ne disiez pas : Comment, nous qui sommes si coupables, pouvons-nous être justifiés ? Paul nous montre celui qui a effacé tous les péchés ; afin de prouver ce qu'il avance et par la foi d'Abraham, en vertu de laquelle il a été justifié ; et par la passion du Sauveur, qui nous a délivrés de nos péchés. Après avoir donc parlé de sa mort, il parle aussi de sa résurrection. Il n'est pas mort pour nous laisser exposés au châtiment et condamnés, mais pour nous faire du bien ; c'est pour nous rendre justes qu'il est mort et ressuscité.
« Étant donc justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ ( 1 ) ». Que veulent dire ces mots : « Ayons la paix ? » Cest-à-dire, selon quelques-uns, ne causons point de discordes, en cherchant à introduire la loi. Quant à moi, je pense qu'il s'agit ici de notre conduite. Après avoir beaucoup parlé de la foi et de la justice par les œuvres, il traite cette autre question ; et de peur qu'on ne s'autorise de ce qu'il a dit pour se négliger, il ajoute : « Ayons la paix », c'est-à-dire ne péchons plus, ne revenons pas au passé ; car ce serait lutter contre Dieu. Et comment, direz-vous, est-il possible de ne plus pécher ? Et d'abord comment tout ceci a-t-il été possible ? Si, coupables de tant de péchés, nous en avons été délivrés par le Christ, à bien plus forte raison pouvons-nous, avec son aide, persévérer dans l'état où nous sommes. Ce n'est pas la même chose d'obtenir une paix qu'on n'avait pas, ou de la garder quand on l'a reçue : car il est plus difficile d'acquérir que de conserver ; et cependant le plus difficile est devenu facile et s'est réalisé. Donc le plus facile nous viendra aisément, si nous nous attachons à celui qui a accompli pour nous le plus difficile. Mais ici Paul ne semble pas seulement indiquer que la chose est facile, mais aussi qu'elle est raisonnable. Si en effet le Christ nous a réconciliés quand nous étions vaincus, il est juste de nous maintenir dans cet état de réconciliation et de lui témoigner par là notre reconnaissance, pour qu'il ne paraisse pas n'avoir réconcilié avec son père que des méchants et des ingrats. « Par lui », nous dit l'apôtre, « nous avons eu accès par la foi ». Si donc il nous a ramenés quand nous étions loin, à bien plus forte raison nous retiendrait-il depuis que nous sommes près.
2. Considérez un peu, je vous prie, comme Paul met partout en opposition, et ce que Dieu fait de son côté, et ce que nous faisons du nôtre. Ce que Dieu a fait est varié, multiple, divers : car il est mort, il nous a délivrés, il nous a amenés, il nous a accordé une grâce ineffable ; et nous, nous n'avons apporté que la foi. Aussi l'apôtre dit-il : « Par la foi en cette grâce en laquelle nous sommes établis ». Quelle grâce, je vous demande ? Celle d'être jugés dignes de la connaissance de Dieu, d'être délivrés de l'erreur, de connaître la vérité, d'obtenir tous les biens par le baptême ; il nous a donné accès, afin de nous communiquer tous ces dons ; non pas seulement pour que nous soyons délivrés de nos péchés, mais aussi pour que nous jouissions de mille honneurs. Et il ne s'est pas borné à cela ; il nous a encore promis d'autres biens, des biens ineffables, qui surpassent notre intelligence et notre raison. C'est pourquoi Paul parle des uns et des autres. En effet, par ce mot : « Grâce », il désigne les biens présents que nous avons reçus, et par ceux-ci : « Nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu », il nous découvre tous les biens à venir. Il dit avec raison : « En laquelle nous sommes établis ». Car telle est la grâce de Dieu ; elle n'a pas de fin, elle n'a pas de terme, mais elle croît toujours : ce qui n'est point le propre des choses humaines. Par exemple, quelqu'un est en possession d'une dignité, d'un honneur, d'un pouvoir ; il ne les conserve pas toujours, mais il en déchoit promplement, car s'ils ne lui sont pas enlevés par un homme, du moins la mort l'en dépouillera complètement. Il n'en est pas ainsi du don de Dieu : ni l'homme, ni le temps, ni les événements, ni le démon même, ni la mort ne peuvent nous en priver ; c'est quand nous mourons, que nous sommes le plus assurés de les posséder, et nos jouissances ne font que s'accroître de plus en plus. Si donc vous n'avez pas de foi aux biens à venir, croyez-y du moins d'après les biens présents et d'après ce que vous avez déjà reçu. C'est ce qui fait dire à Paul : « Et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu », afin que vous sachiez dans quelle disposition doit être l'âme du fidèle. Car il faut être pleinement assuré, non seulement des biens accordés, mais encore des biens futurs, comme s'ils étaient déjà donnés. On se glorifie des biens qu'on a reçus ; mais, nous dit-il, puisque l'espérance des biens à venir est aussi ferme, aussi certaine, que la possession même de ceux que l'on a reçus, il faut donc également s'en glorifier ; et pour cela il leur donne le nom de gloire. Si en effet ils contribuent à la gloire de Dieu, ils arriveront certainement, sinon à cause de nous, du moins à cause de lui. Mais à quoi bon, répond-il, dire que les biens à venir méritent qu'on s'en glorifie ? Nous pouvons nous glorifier même des maux présents et en être fiers ; aussi ajoute-t-il : « Mais outre cela, nous nous glorifions encore dans les tribulations ( 3 ) ». Songez quels seront les biens futurs, puisque nous nous glorifions même de ce qui paraît un mal. Tel est le don de Dieu ; il n'y a rien en lui de désagréable.
Dans l'ordre des choses humaines, les combats entraînent des peines, des douleurs, des misères ; seules les couronnes et les récompenses procurent de la joie ; ici, il n'en est pas de même, car la lutte est aussi agréable que le prix. Comme alors les épreuves étaient nombreuses, que le royaume n'existait qu'en espérance ; que les maux étaient présents, les biens en expectative, et que cela brisait le courage des plus faibles ; l'apôtre leur distribue des encouragements avant l'heure des couronnes, en leur disant qu'il faut se glorifier dans les tribulations. Il ne dit même pas : Il faut se glorifier, mais : « Nous nous glorifions », en les encourageant par son propre exemple. Et comme il pouvait paraître étrange, incroyable, qu'on dût se glorifier dans la faim, dans les chaînes, dans les tourments, dans les injures et les opprobres, il en donne la preuve ; et ce qu'il y a de plus fort, c'est qu'il affirme qu'on doit s'en glorifier, non seulement en vue de l'avenir, mais même dans le présent ; parce que les tribulations sont par elles-mêmes un bien. Pourquoi ? Parce qu'elles exercent à la patience. C'est pourquoi, après avoir dit : « Nous nous réjouissons dans les tribulations », il en donne la raison en ces termes : « Sachant que la tribulation produit la patience ». Voyez encore une fois la ténacité de Paul, et comme il retourne le sujet en sens contraire. Comme les tribulations décourageaient des biens à venir et jetaient dans le désespoir, il leur dit qu'elles doivent par elles-mêmes inspirer du courage et qu'il ne faut point désespérer de l'avenir. « Car la tribulation produit « la patience ; la patience, l'épreuve ; et l'épreuve, l'espérance. Or l'espérance ne confond point ( 4, 5 ) ». Non seulement les tribulations ne détruisent point ces espérances, mais elles en sont le fondement. Même avant les biens à venir, la tribulation produit un très grand fruit, la patience, et elle éprouve celui qui est tenté. D'ailleurs elle contribue aussi aux biens futurs ; car elle fortifie en nous l'espérance. Rien en effet ne dispose à bien espérer comme une bonne conscience.
3. C'est pourquoi personne de ceux qui ont bien vécu, ne doute de l'avenir, tandis que beaucoup de ceux qui négligent de bien vivre, tourmentés par une mauvaise conscience, voudraient qu'il n'y eût ni jugement, ni punition. Quoi donc ? nos biens sont-ils en espérances ? Oui ; mais non en espérances humaines, qui sont souvent frustrées ; qui confondent souvent, soit parce que celui sur qui on les fondait meurt, soit parce qu'il change de sentiment. Il n'en est pas ainsi des nôtres ; elles sont fermes, elles sont immuables. Celui qui a promis vit toujours ; et nous, qui devons jouir de ces biens, nous ressusciterons après notre mort ; rien, absolument rien ne pourra nous confondre, comme si nous eussions nourri un vain et futile espoir. Après nous avoir ainsi délivrés de toute incertitude, l'apôtre ne s'en tient pas là, mais il revient encore aux biens à venir, sachant que les faibles s'attachent aux biens présents et ne se contentent pas des autres. Or il appuie la foi aux biens à venir sur la considération des bienfaits déjà reçus, de peur qu'on ne dise : Et si Dieu ne voulait rien donner ? Nous savons tous qu'il est puissant, immuable, vivant ; mais comment connaissons-nous sa volonté ? Par ce qui existe déjà. Qu'est-ce donc ? L'amour qu'il nous a témoigné.
Qu'a-t-il fait ? direz-vous. Il a donné le Saint-Esprit. Aussi après avoir dit : « L'espérance ne confond point », il en donne la preuve en disant : « Parce que la charité de Dieu est répandue en nos cœurs ». Et il ne dit pas : a été donnée, mais : « A été répandue en nos cœurs », pour en faire voir l'abondance, car il nous a donné ce qu'il y a de plus grand : non pas le ciel, la terre et la mer, mais quelque chose de plus précieux que tout cela : il nous a transformés d'hommes en anges et faits enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ. Et qu'est-ce que ce don ? L'Esprit-Saint. Or, s'il ne nous réservait pas de glorieuses couronnes après le combat, il ne nous aurait pas fait de si grands dons avant le combat ; et ce qui démontre l'ardeur de son amour, c'est qu'il ne nous a pas accordé ces honneurs peu à peu, et avec mesure, mais qu'il nous a ouvert sans réserve la source des biens, et cela même avant la lutte. En sorte que, ne fussiez-vous pas très digne, vous ne devez point désespérer, puisque vous avez un puissant avocat, l'amour du juge. Voilà pourquoi Paul après avoir dit : « L'espérance ne confond point », rapporte tout à l'amour de Dieu, et non à nos mérites.
Puis après avoir parlé du don de l'Esprit, il revient encore à la croix et dit : « En effet, le Christ, lorsque nous étions encore infirmes, est mort, au temps marqué, pour des impies. Certes à peine quelqu'un mourrait-il pour un juste ; peut-être cependant que quelqu'un aurait le courage de mourir pour un homme de bien. Ainsi Dieu témoigne son amour pour nous ( 6-8 ) ». C'est-à-dire : si personne peut-être ne voudrait mourir pour un homme vertueux, comprenez l'amour de votre Maître, qui a été crucifié, non pour des hommes vertueux, mais pour des pécheurs et des ennemis, ce que Paul dit ensuite : « En ce que, dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. Maintenant donc, justifiés par son sang, nous serons à plus forte raison délivrés par lui de la colère. Car si lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils ; à plus forte raison, réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie ( 9, 10 ) ».
Tout cela a l'air d'une répétition et n'en est cependant pas une pour quiconque examine attentivement. Voyez un peu : il veut les confirmer dans la foi aux biens futurs : et d'abord il les confond par la croyance du juste Abraham, en disant « qu'il était pleinement assuré que ce que Dieu a promis, il est puissant pour le faire » ; ensuite il prouve sa proposition par la grâce qui a été donnée, puis par les tribulations, qui sont propres à nous faire espérer ; puis par l'Esprit que nous avons reçu, et enfin par la mort du Christ et notre méchanceté première. Tout cela, comme je l'ai déjà dit, semble n'être qu'une seule et même chose, et pourtant on y en trouve deux, trois et bien davantage : d'abord que le Christ est mort ; secondement, qu'il est mort pour des impies ; troisièmement, qu'il nous a délivrés, sauvés, justifiés, qu'il nous a rendus immortels, qu'il nous a faits enfants de Dieu et héritiers. Ce n'est pas seulement sa mort qui doit nous fortifier, dit Paul, mais encore le don qui nous a été fait par sa mort. Fût-il simplement mort pour nous tels que nous sommes, c'eût déjà été une très grande preuve d'amour ; mais qu'en mourant, il nous ait encore fait des dons, et des dons si grands, et quand nous étions pécheurs : voilà ce qui surpasse toute idée, et amène à la foi l'homme le plus insensible. Car personne ne nous sauvera que celui qui nous a aimés, nous pécheurs, jusqu'à se livrer lui-même. Voyez-vous combien ce passage fournit de preuves pour établir la foi aux biens futurs ? Avant cela, il y avait deux obstacles à notre salut : nous étions pécheurs et nous devions être sauvés par la mort du Maître : ce qui semblait incroyable avant d'exister, et exigeait, pour se réaliser, un grand amour ; mais maintenant que cela est fait, le reste est plus facile : car nous sommes devenus amis, et la mort n'est plus nécessaire. Et Celui qui a épargné des ennemis jusqu'au point de ne pas épargner son Fils, ne protégerait pas des amis, quand il n'est plus nécessaire que son Fils se livre ? Si l'on ne sauve pas quelqu'un, c'est qu'on ne le veut pas, ou souvent encore parce qu'on ne le peut pas, quand même on le voudrait. Or, ni l'un ni l'autre ne peut se dire de Dieu ; qu'il l'ait voulu, cela est clair puisqu'il a donné son Fils ; qu'il le puisse, il l'a fait voir en justifiant des pécheurs. Qu'est-ce qui nous empêche donc de jouir des biens à venir ? Rien. Et pour que vous ne soyez pas couvert de confusion et de honte en entendant ces mots de pécheurs, d'ennemis, d'infirmes et d'impies, écoutez ce que dit l'apôtre : « Mais outre cela, nous nous glorifions en Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui maintenant nous avons reçu la réconciliation ( 11 ) ».
Qu'est-ce que signifie « outre cela ? » Non seulement, dit-il, nous avons été sauvés, mais nous nous glorifions de ce dont on voudrait nous faire un sujet de honte. En effet que nous ayons été sauvés quand nous vivions ainsi dans une telle malice, c'est la preuve d'une grande charité de la part de celui qui nous a sauvés. Et ce n'est point par des anges ou des archanges, mais par son Fils unique qu'il a opéré notre salut. Ainsi il nous a sauvés ; il nous a sauvés quand nous étions pécheurs, il nous a sauvés par son Fils unique, et non seulement par son Fils, mais par le sang même de ce Fils : voilà de quoi nous tresser mille couronnes de gloire. Car rien ne procure au tant de gloire et n'excite autant la confiance que d'être aimé de Dieu et de le payer de retour. Voilà ce qui fait la splendeur des anges, des principautés et des puissances ; voilà ce qui l'emporte sur la royauté. Aussi Paul met-il cela au-dessus du pouvoir royal ; c'est ce qui me fait proclamer bienheureux les purs esprits, parce qu'ils aiment Dieu et qu'ils lui obéissent en tout. Voilà pourquoi le prophète les admirait en disant : « Puissants en vertu, exécutant sa parole » ( Ps. 102 ) ; voilà pourquoi Isaïe exaltait les séraphins et indiquait leur grande vertu en ce qu'ils étaient rapprochés de cette gloire : ce qui était le signe d'un très grand amour.
4. Imitons donc, nous aussi, les puissances célestes, et efforçons-nous, non seulement de nous tenir près du trône, mais de loger en nous Celui qui est assis sur le trône. Il a aimé ceux-mêmes qui le haïssaient et il continue à les aimer : car « Il fait lever le soleil sur les méchants et sur les bons et pleuvoir sur les justes et les injustes ». ( Matth. 5, 45. ) Rendez-lui donc amour pour amour ; car il vous aime. Mais s'il nous aime, direz-vous, comment se fait-il qu'il nous menace de l'enfer, du châtiment et de la vengeance ? Précisément parce qu'il vous aime : pour couper en vous la racine du vice, pour refréner par la crainte votre penchant au mal, il met tout en œuvre, il ne néglige rien ; par les biens comme par les maux, il cherche à retenir votre inclination vers les choses de la terre, à vous ramener à lui, et à vous arracher à toute espèce de péché, qui est un mal pire que l'enfer. Que si vous riez de ce qu'on vous dit, si vous aimez mille fois mieux vivre dans le vice que d'être affligé un seul jour, il n'y a rien d'étonnant : c'est la preuve d'une âme basse, un signe d'ivresse et de maladie incurable.
Quand les petits enfants voient le médecin prêt à employer le feu et le fer, ils s'enfuient en poussant des cris de terreur et en se déchirant eux-mêmes ; ils aiment mieux périr de consomption que de subir une douleur momentanée pour jouir ensuite d'une bonne santé. Mais ceux qui sont intelligents savent que la maladie est pire qu'une opération, et une vie coupable plus triste que la punition : car l'un, c'est le remède suivi de la bonne santé, et l'autre c'est la mort et la souffrance prolongée. Or il est de toute évidence que la santé est préférable à la maladie ; ce n'est pas quand le brigand reçoit le coup mortel qu'il est juste de verser sur lui des larmes, mais quand il perce lui-même les murs et devient meurtrier. Si en effet l'âme vaut mieux que le corps, comme elle vaut mieux réellement, sa perte est plus digne de pleurs et de gémissements ; et si elle ne la sent pas, elle n'en mérite que mieux les larmes. Il faut donc plaindre ceux qui sont brûlés de l'amour impur, bien plus que ceux que la fièvre travaille, et les ivrognes plus que ceux que l'on applique à la torture. Mais, dira-t-on, pourquoi préférons-nous l'un à l'autre ? Parce que, comme dit le proverbe, la plupart des hommes préfèrent le pire et le choisissent, au détriment du meilleur. C'est ce qui se voit en fait de nourriture, de conduite, de rivalité, de plaisir, de femmes, de maisons, d'esclaves, de champs, et dans tout le reste. Lequel, je vous le demande, est le plus doux d'avoir commerce avec un homme ou avec une femme, avec une femme ou avec une mule ? Et pourtant nous en voyons beau coup négliger le commerce des femmes pour celui des brutes, ou déshonorer le corps d'un homme : quoique les jouissances conformes aux lois de la nature soient plus agréables.
Pourtant le nombre est grand de ceux qui poursuivent comme pleines d'attraits des jouissances ridicules, désagréables, pénibles. Mais, dira-t-on, ils y trouvent du charme. Et c'est là précisément leur malheur, de croire agréable ce qui ne l'est point du tout. Par là ils se persuadent que le châtiment est pire que le péché ; et c'est tout le contraire. Car si le châtiment était un mal pour les pécheurs, Dieu n'eût point ajouté mal à mal, et n'aurait pas voulu les rendre pires ; lui qui fait tout pour éteindre le vice, ne l'aurait pas augmenté. Ce n'est donc pas le châtiment qui est un mal pour le coupable, mais la faute sans la punition, comme la maladie sans le remède. Car rien n'est mauvais comme une passion déplacée : et quand je dis déplacée, j'entends parler de la passion de la volupté, de celle de la vaine gloire, du pouvoir, en un mot de tout ce qui dépasse le besoin. Un homme de ce genre, qui mène une vie molle et relâchée, semble le plus heureux des mortels et il en est le plus malheureux, introduisant dans son âme des maîtresses incommodes et tyranniques. Voilà pourquoi Dieu nous a rendu cette vie pénible, afin de nous arracher à cet esclavage et de nous conduire à la liberté pure ; voilà pourquoi il nous menace du châtiment et associe les travaux à notre existenee, afin de contenir notre mollesse.
Ainsi quand les Juifs étaient assujétis à travailler l'argile, à façonner la brique, ils étaient raisonnables et recouraient souvent à Dieu ; mais dès qu'ils furent en liberté, ils murmurèrent, ils excitèrent le courroux du Maître et s'attirèrent des maux sans nombre. Mais, objecte-t-on, que direz-vous de ceux que l'affliction a pervertis ? que c'est là l'effet de leur faiblesse, et non de l'adversité. Si quelqu'un a un estomac faible qu'un remède amer trouble, tandis qu'il devrait le purger, ce n'est point le remède que nous accusons, mais la faiblesse de l'organe. Autant en dirons-nous de l'infirmité de l'âme. Celui en effet qui est perverti par l'affliction, le serait encore bien plutôt par la prospérité : s'il tombe quand il est retenu par une chaîne ( car l'affliction est une chaîne ), à plus forte raison tomberait-il s'il était libre ; s'il est culbuté quoique lié fortement, bien plutôt le serait-il s'il était desserré. — Et comment, direz-vous, pourrais-je ne pas être renversé par l'affliction ? En songeant que, bon gré malgré, il faudra que vous la supportiez ; que si c'est avec reconnaissance, vous en retirerez de très grands profits ; si c'est avec répugnance, avec désespoir et en blasphémant, non seulement vous n'allégerez pas le fardeau du malheur, mais vous augmenterez la force de la tempête.
Dans ces pensées, acceptons de bon cœur ce qui est l'effet de la nécessité. Par exemple : quelqu'un a perdu un enfant légitime, un autre toute sa fortune ; s'il considère qu'il n'était pas possible d'éviter le coup, qu'il y a quelque profit à tirer d'un malheur irréparable, en le supportant généreusement, en renvoyant au Maître des actions de grâces au lieu de blasphèmes, il arrivera que la volonté se fera un mérite d'un mal arrivé contre son gré. Voyez-vous votre fils enlevé par une mort prématurée ? Dites : « Le Seigneur me l'avait donné, le Seigneur me l'a ôté » ( Job 1, 21 ). Voyez-vous votre fortune disparaître ? Dites : « Je suis sorti nu du sein de ma mère, je m'en a retournerai nu » ( Ibid ). Voyez-vous les méchants prospérer, les justes tomber dans l'adversité et subir mille afflictions, sans que vous puissiez en connaître la cause ? Dites : « Je suis devenu comme une bête de charge devant vous, et pourtant je suis toujours avec vous » ( Ps. 72 ). Si vous m'en demandez la raison, je vous dirai de vous figurer comme présent le jour où Dieu doit juger l'univers, et tous vos doutes se dissiperont : car chacun alors sera traité selon ses mérites, comme Lazare et le mauvais riche. Souvenez-vous des apôtres : déchirés de coups de fouet, chassés, accablés de mauvais traitements, ils se réjouissaient d'avoir été jugés dignes de souffrir injure pour le nom du Christ. Si vous êtes malades, souffrez avec patience, rendez grâces à Dieu, et vous recevrez la même récompense qu'eux.
Mais comment pourrez-vous rendre grâces au Maître, au sein de la maladie et des souffrances ? Si vous l'aimez véritablement. Si les trois enfants dans la fournaise, si d'autres au milieu des chaînes ou de maux sans nombre, ne cessaient pas de rendre grâces à Dieu, à plus forte raison ceux qui sont affligés de maladies ou d'infirmités pénibles peuvent-ils le faire. Car il n'est rien, non rien, dont l'amour ne triomphe ; et quand c'est l'amour de Dieu, il l'emporte sur tous les autres, et ni le feu, ni le fer, ni la maladie, ni la pauvreté, ni l'infirmité, ni la mort, ni rien de semblable ne paraît pénible à celui qui le possède ; il rit de tout, il prend son vol vers le ciel, et n'éprouve pas d'autres sentiments que ceux qui y habitent, ne voit pas autre chose qu'eux : non pas le ciel, ni la terre, ni la mer, mais uniquement la beauté de cette gloire ; les misères de la vie présente ne sauraient l'abattre, ni ses biens et ses plaisirs l'enorgueillir et l'enfler. Aimons donc cet amour ( car rien ne l'égale ) et pour le présent et pour l'avenir ; mais surtout, pour lui-même ; nous serons ainsi délivrés des châtiments de cette vie et de l'autre, et nous obtiendrons le royaume. Du reste, être délivré de l'enfer et en possession du royaume, c'est peu de chose en comparaison de ce que je vais dire : Aimer le Christ et en être aimé est bien au-dessus de tout cela. Si en effet l'amour mutuel chez les hommes mêmes est la plus grande des voluptés, quand il s'agit de Dieu, quelle parole, quelle pensée pourrait exprimer le bonheur de l'âme ? Il n'y a que l'expérience qui le puisse. Afin donc de connaître par expérience cette joie spirituelle, cette vie heureuse, ce trésor inépuisable de biens, quittons tout, attachons-nous à cet amour, et pour notre propre bonheur et pour la gloire du Dieu qui en est l'objet ; car la gloire et l'empire sont à lui, comme au Fils unique et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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Concert à Saint-Georges
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