Horaires du 20 avril au 3 mars.
Horaires du 13 au 19 avril 2025.
Pélerinage Jubilé
Saint Bernard
Les sept sceaux brisés par l'Agneau.
1. « Le lion de la tribu de Juda a vaincu ( Apoc. V, 5 ). » Oui, la sagesse a vaincu la malice, en atteignant d'une extrémité à l'autre avec force, et en disposant toutes choses avec douceur ; mais s'il a montré sa force, c'est pour moi qu'il l'a montrée, et s'il a montré sa douceur, c'est à moi.
Victoires insignes du Christ.
Il a vaincu les blasphèmes des Juifs sur la croix, il a chargé de chaînes le fort armé dans sa demeure, et il a triomphé de l'empire même de la mort. Ô Juif, où sont tes opprobres ? Ô Zabulon, où sont les vases de ta captivité ? Ô mort où est ta victoire ? L'accusateur a été confondu, le ravisseur s'est trouvé pris lui-même. C'est un nouveau genre de puissance ! C'est à ce point que la mort même en est stupéfaite jusque dans sa propre victoire. Et toi, ô Juif, toi qui branlais la tête d'une manière sacrilège au pied de la croix, il y a deux jours à peine, que fais-tu aujourd'hui ? Pourquoi jetais-tu l'opprobre à celui qui est véritablement la tête de l'homme, au Christ ? « Que le Christ, disais-tu, que le roi d'Israël descende de la croix ( Marc. XV, 32 ). » Ô langue venimeuse, quelle parole mauvaise, quels discours pervers ! Ce n'est pas ce que tu disais peu de temps auparavant à Caïphe, quand tu t'écriais : il est de notre intérêt qu'un seul homme meure pour tout le peuple, plutôt que la nation périsse tout entière ( Joan. XI, 50 ). » Mais comme ce que tu disais là n'était point un mensonge, ce n'est pas de toi-même que tu parlais ainsi. Ce que tu disais en parlant sous ta propre inspiration, c'est ceci : « S'il est le roi d'Israël, qu'il descende de la croix ( Matth. XXVII, 42 ). « Ou plutôt ces paroles t'étaient suggérées par celui qui est menteur dès le commencement du monde. En effet, s'il est roi, ne doit-il pas plutôt monter que descendre, pour faire quelque chose qui soit en harmonie avec ce qu'il est ? Tu as donc déjà oublié, antique serpent, avec quelle confusion tu fus obligé naguère de t'éloigner de lui. Lorsque tu eus poussé la présomption jusqu'à lui dire : « Jetez-vous en bas, et encore, je vous donnerai toutes ces choses, si, vous prosternant devant moi, vous m'adorez ( Matth. IV, 9 ) ? » Et toi, ô Juif, as-tu donc tellement perdu le souvenir de ce que tu as entendu dire, « que c'est du haut de l'arbre que le Seigneur a établi son règne ( Psal. XCV, 40 ), que tu le renies pour roi, parce qu'il demeure attaché à l'arbre de la croix ; Mais, après tout, peut-être as-tu oublié également que ce n'est pas pour les seuls Juifs, mais pour toutes les nations qu'il a été dit : Dites aux nations que c'est du haut de l'arbre que le Seigneur [a1-1] établi son règne. »
Le Christ continue à être sur la croix et à travailler à l'œuvre de notre rédemption.
2. C'est donc avec infiniment de raison que ce Gentil qui gouvernait la Judée plaça son titre de roi des Juifs au haut de sa croix. Les Juifs voulurent en vain changer cette inscription, ils ne purent pas plus y réussir qu'ils ne réussirent à empêcher la passion de notre Seigneur, et notre rédemption : « Qu'il descende de la croix, disaient-ils, s'il est le roi d'Israël. » Loin de là, au contraire, comme il est effectivement le roi d'Israël, il faut qu'il en garde le titre, qu'il ne se dessaisisse point de son sceptre, lui qui porte sur son épaule la marque de son empire ( Is. IX, 6 ), selon le langage même d'Isaïe. « Ne mettez pas, disaient les Juifs à Pilate, ne mettez pas, roi des Juifs ; mettez qu'il s'est dit roi des Juifs : » Et Pilate leur répondait : « ce que j'ai écrit, est écrit. ( Joan XIX, 22 ). » Mais si ce que Pilate a écrit doit demeurer écrit, le Christ ne mènera-t-il pas à bonne fin ce qu'il a commencé ? Or il a commencé l'œuvre de notre salut, il l'achèvera. Les Juifs disaient : « Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même ( Matth. XXVII, 41 ). » Mais quoi ! s'il descendait de la croix, il ne sauverait plus personne. Si celui qui ne persévère point jusqu'à la fin ne peut être sauvé, combien moins peut-il être Sauveur ? Il sauve donc les autres, car, étant lui-même le salut, il n'a pas besoin d'être sauvé. Il opère notre salut et il ne veut pas que rien manque à la victime du salut, qu'il offre dans son sacrifice du soir. Il connaît tes pensées, ô Juif mauvais, et il ne te donnera point l'occasion de nous frustrer du fruit de la persévérance qui obtiendra la couronne. Il ne fera point taire ceux qui prêchent aux autres, qui consolent les faibles, et qui disent à chacun : n'abandonnez point le poste que vous occupez, ce que tous feraient certainement s'ils pouvaient répondre : Le Christ a bien abandonné le sien. Car le cœur de l'homme et ses pensées inclinent vers le mal. C'est donc en vain, esprit malin, que tu as préparé tes flèches dans ton carquois, et que tu ajoutes les soupirs de tes partisans aux outrages des Juifs. Les uns sont remplis de désespoir, et les autres de paroles injurieuses ; mais le Christ est inaccessible à ce double trait. Pour lui, il y a temps pour fortifier ses disciples, et temps pour confondre ses ennemis.
Quatre vertus brillent dans la crois de Jésus-Christ.
3. Mais, en attendant, il aime mieux nous donner un exemple de patience et d'humilité, faire acte d'obéissance et de charité, car telles sont les quatre pierres précieuses qu'il attache aux quatre bras de sa croix. En haut il place le joyau de la charité, à droite, celui de l'obéissance, à gauche celui de la patience, et, en bas, celui de l'humilité. Voilà les brillants dont il enrichit le trophée de la croix, en consommant d'œuvre de sa passion, en se montrant humble sous les blasphèmes des juifs, patient dans les blessures que la langue de ses ennemis lui faisait à l'âme, et dans celles que leurs clous faisaient à ses membres. Quant à la charité, sa perfection éclate surtout en ce qu'il donne sa vie pour ses amis, et son obéissance consommée brille au moment où, baissant la tête, il rendit l'âme, dans un acte d'obéissance qui alla jusqu'à la mort. Voilà les riches présents, voilà la gloire dont voulaient dépouiller l'Église du Christ ceux qui disaient : « S'il est le roi d'Israël, qu'il descende donc de la croix. » Ils voulaient la priver de la forme de d'obéissance, lui ravir ce puissant levain de charité et la frustrer de cet exemple de patience et d'humilité. Mais ils auraient dû effacer de l'Évangile ces paroles plus agréables et plus douces que le miel en ses rayons : « Personne ne peut avoir un plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ( Joan. XV, 13 ) ; » et celles-ci encore que Jésus adressait à son père : « J'ai achevé l'œuvre que vous m'aviez donnée à faire ( Joan. XVII, 4 ) : » et ces autres aussi à ses disciples « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ( Matth. XI, 29 ) ; » ou bien enfin celles-ci : « Pour moi, quand j'aurai été élevé de la terre, j'attirerai tout à moi ( Joan. XII, 32 ). » Ce qui peine surtout le rusé et venimeux serpent, c'est le serpent d'airain qu'il voit élevé dans le désert, et dont la vue seule guérit les blessures qu'il a faites ( Num. XXI, 8 ). Aussi n'est-ce pas un autre que lui, du moins je le pense, qui suggéra à la femme de Pilate la pensée de lui envoyer dire : « Ne vous embarrassez point dans l'affaire de ce Juste, car j'ai été aujourd'hui étrangement tourmentée, dans un songe, à cause de lui ( Matth. XXVII, 19 ). »
Le démon tend des pièges inutiles à la patience de Jésus souffrant.
Il était donc déjà vivement tourmenté alors, mais c'est surtout en ce moment que, se sentant singulièrement affecté par la vertu de la croix, cet ennemi du salut se repent, mais trop tard, de ce qui s'est fait. Aussi, après avoir poussé les Juifs à crucifier le Seigneur, leur inspira-t-il la pensée de lui dire de descendre de la croix. En effet, « s'il est le roi d'Israël, disent-ils, qu'il descende de la croix, et nous croirons en lui. » C'est bien là la ruse du serpent, c'est bien une invention de cet esprit pervers. L'impie avait entendu le Sauveur dire un jour : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël ( Matt. XV, 14 ) : » et il savait quel zèle il semblait avoir pour le salut de ce peuple ; voilà pourquoi, animant de son excessive malice la langue des blasphémateurs, il leur suggère de dire : « Qu'il descende et nous croyons en lui. » Comme s'il n'y avait plus rien qui s'opposât à ce qu'il descendit, puisqu'il avait tant à cœur de les voir croire en lui.
4. Mais que machine ce rusé serpent, et à qui entreprend-il de tendre des embûches ? Car Celui contre lequel l'ennemi ne saurait rien gagner dans ses attaques, et à qui l'enfant de l'iniquité ne peut faire aucun mal ( Psal. LXXXVIII, 23 ), Celui qui lit au fond des cœurs ne se laisse pas prendre à de vaines promesses, de même que, dans son excessive patience il ne s'émeut point de leurs outrageants blasphèmes. Le but secret de leurs conseils pervers n'était pas d'être amenés à croire eux-mêmes, mais de faire périr la foi, en nous, par tous les moyens possibles, si nous l'avions un peu. En effet, en lisant que « toutes les œuvres de Dieu sont parfaites ( Deut. XXXII, 4 ), » comment pourrions-nous reconnaître un Dieu dans celui qui aurait laissé l'œuvre de notre salut imparfaite ? Mais écoutons la réponse que Jésus fit à ces conseils. Tu demandes des miracles, ô Juif ? « Eh bien, attends-moi au jour de ma résurrection ( Soph. III, 8 ). » Si tu veux croire en moi, je te réserve des preuves plus concluantes encore que celles que tu me demandes. Quant aux miracles, j'en ai multiplié le nombre, ces derniers jours ; hier encore, j'ai guéri des malades, aujourd'hui il me reste à mettre le comble à toutes ces merveilles. N'était-ce pas quelque chose de plus grand de voir les esprits malins sortir du corps des possédés, les paralytiques se lever de dessus leur lit ; que de voir les clous dont tu as percé mes pieds et mes mains se détacher d'eux-mêmes ? Mais le temps destiné à souffrir ne l'est point à agir, et, de même que tu n'as pu avancer l'heure de ma passion, ainsi tu ne peux empêcher qu'elle ne sonne.
5. Mais si cette génération adultère et perverse demande encore des prodiges, il ne lui en sera point donné d'autre que celui du prophète Jonas ( Matth. XII, 39 ) ; non pas un miracle de descente, mais un miracle de résurrection. Que si le Juif ne demande pas ce miracle-là, le Chrétien du moins l'accueillera et l'embrassera avec bonheur. Car le lion de la tribu de Juda a vaincu, et le petit du lion s'est éveillé à la voix de son père, il s'est élancé du fond de son sépulcre fermé, quand il n'était point descendu du haut de sa croix. Ce miracle-là est-il plus grand que l'autre ? C'est ce que je laisse à décider à nos juges qui avaient pris un soin si diligent de veiller sur ce sépulcre, en le scellant de leur sceau et en y plaçant des gardes. Cette grande pierre dont la pensée préoccupait l'esprit des saintes femmes, « se vit ôtée par un ange qui s'assit dessus ( Matth. XXVIII, 2, et Marc. XVI, 3 ), » dès que le Seigneur fut ressuscité, selon ce qui est écrit. Ainsi celui qui était venu au monde en sortant du sein fermé d'une vierge, sortit plein d'une vie nouvelle, de son tombeau également fermé, et entra ensuite dans le cénacle où ses disciples se tenaient les portes clauses. Mais il est un endroit d'où il ne voulut point sortir les portes fermées, ce sont les enfers ; il en brisa les gonds de fer et en mit toutes les barrières en morceaux, afin d'en emmener en pleine liberté les siens, ceux-là qu'il avait rachetés de la main de son ennemi, et d'en faire sortir, toutes portes ouvertes, la troupe de ses élus vêtus de blanc, parce qu'ils avaient lavé et blanchi leurs robes dans le sang de l'Agneau ; oui blanchis dans le sang, attendu qu'en même temps que son sang coulait, il s'échappait avec lui une eau qui purifie ; c'est celui « même qui a vu cette merveille qui nous l'apprend; » mais dans le sang tout à la fois blanc et rose d'un agneau de lait, selon l'expression même de l'Épouse du Cantique des cantiques, qui nous dit : « Mon bien-aimé est blanc et rose, et se distingue entre dix mille ( Cant. V, 10 ). » Voilà pourquoi aussi le témoin de la résurrection le montre vêtu d'une robe blanche avec un visage comme la foudre.
6. Mais s'il paraît suffisant, pour confondre les calomnies des Juifs, que le Christ, à qui ils disaient avec moquerie « s'il est le roi d'Israël, qu'il descende de la croix, » soit sorti de son tombeau, tout fermé qu'il fut, car ils avaient encore apporté plus de soin et de précaution à fermer et à sceller le tombeau du Sauveur qu'à enfoncer des clous dans ses mains ; si, dis-je, le lion de la tribu de Juda a vaincu, en s'élançant ainsi de sa prison, et leur a montré une merveille bien plus grande encore que celles qu'ils lui demandaient, à quel miracle pourrons-nous après cela comparer celui de la résurrection.
Différentes résurrections des morts.
Nous voyons bien qu'il y eut avant lui plusieurs morts qui ressuscitèrent, ou du moins qui se relevèrent de leur couche sépulcrale ; mais tout ces ressuscités ne sont que comme les précurseurs du Christ, dont la résurrection dépasse de beaucoup les leurs.
Excellence de la résurrection de Jésus-Christ.
En effet, tous les autres ne ressuscitèrent que pour mourir une seconde fois, or « Jésus-Christ ressuscite d'entre les morts pour ne plus mourir, la mort ne doit plus avoir d'empire sur lui ( Rom. VI, 9 ). » Les autres morts ont encore besoin de ressusciter une seconde fois : quant au Christ, s'il est mort à cause du péché, il n'est mort qu'une fois, et s'il vit maintenant, il vit pour Dieu, il vit pour l'éternité ( ibid. 10 ). C'est donc avec raison que nous disons de lui qu'il est le premier de ceux qui ressuscitent, car il est si bien ressuscité qu'il ne peut plus déchoir de la vie immortelle où il est remonté.
7. Il y a encore un point où éclate la gloire incomparable de cette résurrection. Quel est celui de tous les autres ressuscités qui s'est ressuscité lui-même ? Il est inouï qu'un homme, dormant un sommeil de mort, se soit éveillé de lui-même, c'est un fait unique, il n'a jamais été donné à qui que ce soit, non, absolument à personne, de l'accomplir. Le prophète Élisée ressuscita un mort ( I Reg. IV, 35 ), mais un autre mort que lui-même, et, depuis tant d'années qu'il repose au fond de son sépulcre, il attend qu'un autre l'en fasse sortir ; car il ne saurait sortir de lui-même ; et celui dont il attend cela, c'est Celui qui a triomphé de l'empire de la mort dans sa propre personne. Voilà pourquoi aussi, quand nous parlons des autres, nous disons qu'ils ont été ressuscités ; et, en parlant de Jésus-Christ, qui seul est sorti de son sépulcre par sa propre vertu, nous disons qu'il est ressuscité, attendu que c'est en cela même que le Lion de Juda a vaincu. Que pourra-t-il, ou plutôt que ne pourra-t-il point, maintenant qu'il est plein de vie et qu'il dit à son Père : « Je suis ressuscité et me retrouve avec vous ( Psal. CXXXVIII, 18 ) ? » Que ne pourra-t-il point ce Dieu puissant qui fut compté parmi les morts, mais qui, dans leurs rangs, se trouva libre des chaînes de la mort ?
Sens moral des trois jours du sauveur.
8. Mais, de plus, il ne retarda point sa résurrection au-delà du troisième jour, afin d'accomplir la parole du Prophète qui avait dit : « Il nous vivifiera trois jours après, il nous ressuscitera le troisième jour ( Osée VI, 3 ). » Il convient évidemment que les membres marchent sur les traces de leur chef. Ce fut le sixième jour de la semaine qu'il racheta l'homme sur la croix, le même jour que, dans le principe, il l'avait créé, et le lendemain il entra dans le sabbat du tombeau, pour s'y reposer de l'œuvre qu'il venait d'achever. Trois jours après, c'est-à-dire le premier jour de la semaine, celui que nous appelons les prémices de ceux qui dorment du sommeil de la mort même, il apparut vainqueur de la mort. C'était l'homme nouveau.
Persévérance sur la croix par la pénitence.
Voilà comment nous tous qui marchons sur les pas de notre chef, nous ne devons point nom plus tout le jour de la vie, pendant lequel nous avons été créés et rachetés, cesser de faire pénitence, de porter notre croix et d'y demeurer attachés comme il y demeura lui-même, jusqu'à ce que l'Esprit-Saint nous dise de nous reposer de nos fatigues. Qui que ce soit qui nous conseille de descendre de la croix, ne l'écoutons point ; non, mes Frères, n'écoutons ni la chair, ni le sang, ni même l'esprit qui nous le conseillerait. Demeurons attachés à la croix, mourons sur la croix, n'en descendons que portés par des mains étrangères, que ce ne soit jamais par le fait de notre légèreté. Ce furent des hommes justes qui détachèrent notre chef de la croix, puisse-t-il nous faire la grâce de charger ses anges de nous descendre de la nôtre, afin que, après avoir vécu en hommes le jour de la croix, nous goûtions le second jour, qui est celui qui commence à notre mort, un doux repos, dans l'heureux sommeil du sépulcre, en attendant l'accomplissement de nos espérances et la gloire de notre grand Dieu qui doit ressusciter nos corps le troisième jour, et les rendre semblables à son corps glorieux. Ceux qui restent quatre jours dans le tombeau répandent une odeur de corruption, ainsi qu'il est écrit de Lazare : « Seigneur, il sent déjà mauvais ; car il a quatre jours qu'il est là ( Joann. XI, 39 ). »
Quel est le quatrième jour des enfants d'Adam.
9. Ce sont les enfants d'Adam qui ont fait le quatrième jour, car ce jour n'est point une création du Seigneur. Voilà pourquoi ils se sont corrompus, et sont devenus abominables, tels que ces bêtes de somme qui pourrissent sur leur fumier. Ce qui est de la création de Dieu, ce sont les trois jours dont nous avons parlé, le jour du travail, celui du repos et enfin celui de la résurrection : ces trois jours ne plaisent point aux enfants des hommes, et ils préfèrent un jour de leur façon ; ils diffèrent donc de faire pénitence et suivent leur penchant pour la volupté ; mais ce jour n'est point un jour que le Seigneur aie fait ; c'est un quatrième jour, et ceux qui l'ont fait commencent déjà à exhaler une odeur de corruption. Le fruit saint des entrailles de Marie ne connaît point ce jour-là, il ressuscite le troisième jour, afin de ne point connaître la corruption. « Le Lion de la tribu de Juda a vaincu ( Amos. III. 8 ), » dit le Prophète. L'agneau a été immolé, mais le lion a vaincu, et il va rugir ; qui est-ce qui pourra l'entendre sans trembler ; et ce lion, dis-je, le plus fort de tous les animaux, le seul qui ne tremble point à l'approche d'un autre, c'est le Lion de Juda. Que ceux-là qui l'ont renié, et qui ont dit : « Nous n'avons d'autre roi que César ( Joann. XIX, 15 ), » tremblent maintenant. Que ceux qui se sont écriés : « Nous ne voulons point qu'il règne sur nous ( Luc, XIX, 14 ), soient saisis de crainte ; car voici qu'il revient après avoir gagné un royaume, et il va perdre les méchants. Voulez-vous être convaincus qu'il ne revient qu'après avoir acquis un royaume, écoutez ce qu'il dit : « Toute puissance m'a été donnée sur la terre et dans les cieux ( Math. XXVIII, 18 ). » Entendez également le Père vous dire dans le Psalmiste : « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et j'étendrai votre domaine jusqu'aux confins de le terre. Vous les gouvernerez avec un sceptre de fer, et vous les briserez comme un vase d'argile ( Psal. II, 8 et 9 ). » Si le lion est fort, il n'est pas cruel ; néanmoins son courroux est terrible, intolérable est aussi la colère de la colombe ( Jérem. XXV, 38 ). Mais, s'il rugit, c'est pour les lions, non point contre eux ; que ceux qui ne sont pas à lui tremblent donc, mais que la tribu de Juda soit au contraire dans la jubilation.
10. Que tous ceux qui ont été couverts de confusion se réjouissent maintenant, qu'ils se livrent à l'allégresse ceux dont les ossements peuvent dire : Seigneur, qui est semblable à vous ? « Le lion de la tribu de Juda, la souche de David a vaincu ( Apoc. V, 5 ). » Or, on dit que David était en même temps doué de beauté et de force, et il s'écrie : « Seigneur, tout ce que je désire est devant vos yeux ( Psal. XXXVII, 10 ), » et « c'est en vous que je conserverai ma force ( Psal. LVIII, 10 ). »
Jésus-Christ est appelé la souche de David.
Il est appelé « souche de David » par le Prophète ; ce n'est pas David qui est la souche de Jésus-Christ, mais c'est Jésus-Christ qui est la souche de David, attendu que c'est en effet le Christ qui porte David, non point David qui porte le Christ. Ô David, ô saint roi, vous avez bien raison d'appeler votre fils, votre Seigneur ; car ce n'est pas vous qui portez votre souche, mais c'est votre souche qui vous porte ; la souche, dis-je, de votre force et de votre ardent désir, la souche désirable et forte. « Le Lion de la tribu de Juda, la souche de David a vaincu, et, par sa victoire, il a mérité d'ouvrir le livre et d'en rompre les sept sceaux ( Ibid. 5 ). » Ces paroles sont tirées de l'Apocalypse, que ceux qui ne les ont jamais lues les apprennent aujourd'hui, et que ceux qui les connaissent se les rappellent. Saint Jean dit donc : « Je vis ensuite dans la main droite de celui qui était assis sur le trône un livre… scellé de sept sceaux, mais il n'y avait personne qui pût ni le lire ni l'ouvrir. Et moi je fondais en larmes parce qu'il ne se trouvait personne qui fût digne d'ouvrir ce livre. Alors un des vieillards me dit : ne pleurez point, car voici le Lion de la tribu de Juda, la souche de David qui a obtenu la victoire… En même temps je vis l'agneau sur le trône comme égorgé, il vint, prit le livre des mains de celui qui était assis sur le trône, et l'ouvrit… Il y eut alors une grande joie, et il se fit entendre de grandes actions de grâces ( Ibid. de 1 à 9 ). » Saint Jean avait entendu parler d'un lion et il vit un agneau ; cet agneau est égorgé, il prend le livre, il l'ouvre, et il apparaît lion ; alors les vieillards de s'écrier : « L'Agneau, qui a été immolé, est digne de recevoir la force ( Ibid. 29 ), » non point de perdre sa douceur, mais de recevoir la force, afin qu'il ne cesse point d'être agneau, tout en devenant un lion. Je vais même plus loin, le livre qu'on ne pouvait ouvrir me semble n'être pas autre chose que lui. En effet, qui pourrait se trouver digne de l'ouvrir ce livre ? Jean Baptiste lui-même s'en juge indigne, et cependant de tous ceux qui sont nés de la femme, Jean est le plus grand. Or c'est lui-même qui dit : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordes de ses souliers ( Marc. I, 7 ). » Car la majesté divine était venue à nous chaussée, c'est-à-dire incarnée, et la sagesse de Dieu était enfoncée dans un livre fermé, et scellé même. Ce que liaient les cordons de ses souliers était la même chose que ce que scellaient les sceaux de ce livre.
11. Mais pourquoi étaient-ils au nombre de sept ? Ne serait-ce point pour désigner les trois facultés de l'âme, la raison, la mémoire et la volonté, et les quatre éléments dont nos corps sont composés, et nous apprendre ainsi qu'il n'a rien manqué au Sauveur de ce qui fait notre humanité ? Ou plutôt, ne peut-on pas dire que le livre de l'Apocalypse représente l'humanité de Jésus-Christ, mais alors quels en seraient les sept sceaux ?
Les sept sceaux du Christ.
Je pense qu'on peut les trouver dans les sept merveilles de la présence de la majesté divine dans une chair mortelle, qui empêcheraient qu'on ouvrit le livre et qu'on vît la sagesse qui y était enfermée. Mais, en attendant, voici ce qui me vient à la pensée : ce sont d'abord les fiançailles de sa mère qui furent comme le voile qui déroba à tous les regards l'enfantement d'une vierge et la pureté de sa conception, et qui fit croire que Jésus, l'artisan dont les mains ont fait l'homme, était lui-même le fils d'un artisan ; puis la faiblesse de son corps qui pleure et qui vagit, qu'on allaite, qui dort et qui est sujet à toutes les nécessités de la nature, mais qui cache, sous ces faibles dehors la vertu même d'un Dieu. Vient ensuite la marque de la circoncision, de ce remède du péché et des maladies de l'âme qu'il reçut, lui qui était venu pour faire disparaître toutes ces maladies et pour détruire le péché. Après cela, c'est sa fuite en Égypte, où l'on ne pouvait soupçonner dans celui qui fuyait la présence d'un aussi petit roi qu'Hérode, du Fils de Dieu, et du vrai roi du ciel. Qu'est-ce encore que cette triple tentation à laquelle l'ennemi du salut le soumit dans le désert, au sommet du temple et sur le haut de la montagne, en lui disant : « Si vous êtes le Fils de Dieu, dites que ces pierres deviennent des pains; » et encore, « jetez-vous en bas ( Matth. IV, 6 ) 2 » Jésus-Christ ne fit ni l'un ni l'autre, pour que le livre demeurât scellé et que le rusé tentateur fût trompé. Il le fut en effet, au point de le tenir fermement pour un simple mortel, et son orgueil en vint, dans son incroyable délire, jusqu'à oser lui dire non plus, » si vous êtes le Fils de Dieu, » mais, « je vous donnerai tout ce que vous voyez-là, si, vous prosternant, devant moi, vous m'adorez. » Le sixième sceau du livre est la croix elle-même où il fut attaché entre deux larrons, et mis au rang des scélérats, tout Seigneur de gloire qu'il fût. Enfin le tombeau est le septième sceau qui ferma ce livre, et nul sceau ne le scella plus vigoureusement et ne le cacha mieux à tous les regards que ce grand mystère de charité. En effet, lorsque le Seigneur fut enfermé dans le sépulcre, il semble qu'il ne restait plus de place que pour le désespoir ; c'est au point qu'en effet, ses disciples s'exprimaient ainsi : « Nous espérions ( Luc. XXIV, 21 ). » Qui donc n'aurait fondu en larmes alors sur ce livre si bien fermé et scellé, en voyant qu'il ne se trouvait personne pour l'ouvrir ?
12. Mais séchez vos larmes, ô saint Jean, et vous, Marie, ne pleurez point davantage. Loin de vous ce deuil, que les nuages de la tristesse se dissipent. Réjouissez-vous dans le Seigneur et soyez transportés de joie, vous qui êtes justes, publiez sa gloire, vous qui avez le cœur droit ( Psal. XXXI, 14 ). L'Agneau qui a été immolé, le lion qui est ressuscité, enfin le livre lui-même est digne de s'ouvrir de ses propres mains. En ressuscitant d'entre les morts, mais en ressuscitant par sa propre vertu, trois jours après sa mort, ainsi qu'il l'avait annoncé à ses apôtres, et comme ses ennemis eux-mêmes nous témoignent qu'il le fit en effet, en ressuscitant, dis-je, avec une telle majesté et une telle gloire, il montre, assez évidemment que tous ces sceaux, tous ces déguisements dont nous avons parlé, étaient volontaires en sa personne, non point un effet de la nécessité, et qu'ils étaient la suite, non de sa nature, mais de son vouloir. Dans quelle pensée, ô Juif, scellais-tu donc la pierre de son sépulcre ? « C'est, me réponds-tu, parce que cet imposteur a dit, lorsqu'il vivait encore : je ressusciterai trois jours après ( Matth. XXVII, 63 ). » Oui, c'était bien un séducteur que ce Jésus, mais un séducteur plein de bonté, non de malice. « Enfin, dit notre Prophète, en parlant en votre propre nom, vous m'avez séduit, Seigneur, et j'ai été séduit ; vous avez été plus fort que moi, et vous l'avez emporté sur moi ( Jer. XX, 7 ). » S'il vous a séduit, ô Juif, ç'a été dans sa passion, car dans sa résurrection il a montré sa puissance et le Lion de Juda, l'a emporté sur vous. « En effet, s'ils l'avaient connu, jamais ils n'auraient crucifié le Seigneur de gloire ( I Cor. II, 8 ). » Que feras-tu donc, ô Juif ? Il a prédit, qu'il ressusciterait, et voilà qu'il a tenu parole. Examine la sceau que tu avais placé sur son sépulcre, il est rompu. Il t'a donné le miracle de Jonas comme il te l'avait prédit ( Matth. XII, 39 et Luc. XI, 29 ). Jonas sort du ventre de la baleine, et le Christ sort de même des entrailles de la terre, après y être resté trois jours. Mais il y a eu manifestement beaucoup plus que Jonas dans celui qui s'est virilement arraché lui-même du sein du trépas. Aussi les habitants de Ninive s'élèveront-ils contre toi le jour du jugement dernier et seront tes juges, attendu qu'ils se sont soumis à la voix du Prophète et que tu n'écoutes pas la voix du Seigneur ni même des prophètes.
13. Qu'est devenu aussi ce que vous disiez, ô Juifs : Qu'il descende de sa croix et nous croyons en lui ( Matth. XXVII, 42 ) ? » Vous avez voulu rompre le sceau de la crois, en promettant que ce serait pour vous un motif d'embrasser la Foi. Eh bien, il est ouvert sans être rompu, embrassez-la donc maintenant, ou si vous ne croyez pas quand il ressuscite, c'est que vous n'auriez pas cru davantage en lui quand il serait descendu de sa croix. Si la croix du Sauveur vous scandalise de la sorte, « car, selon l'Apôtre, le seul mot de croix est un scandale pour les Juifs ( I Cor. I, 23 ), » que du moins ce qu'il y a de nouveau dans le fait de sa résurrection vous excite. Quant à nous, nous trouvons, notre gloire dans la croix, et, pour nous qui sommes sauvés, la croix c'est la force même de Dieu ; c'est, comme nous l'avons montré, la plénitude de toutes les vertus. Puissiez-vous du moins avoir votre tour dans la résurrection ; mais hélas ! peut-être elle aussi, elle surtout, vous scandalisent-elle, peut être ce qui, pour nous, exhale une odeur de vie, pour vous n'exhale-t-il qu'une mortelle odeur de mort. Pourquoi donc insisterai-je ? Mon frère aîné ne peut entendre les accords de la musique et le chant des chœurs, il s'indigne de voir qu'on a tué pour moi le veau gras. Il reste à la porte de la maison, et refuse opiniâtrement d'y entrer. Mais nous, mes frères, entrons-y, et faisons une fête en mangeant l'agneau divin avec les pains, sans levain, de la sincérité et de la vérité, car Jésus-Christ, notre pâque, a été immolé pour nous ( 1 Cor. V, 7 ). Embrassons les vertus qui nous sont recommandées dans la croix, l'humilité, la patience, l'obéissance et la charité.
La résurrection de Jésus-Christ demande que nous passions à une vie meilleure.
14. Considérons aussi avec une sérieuse attention ce que cette solennité nous enseigne en particulier. En effet, qui dit résurrection dit passage, transmigration. En effet, mes frères, le Christ ne s'est point reposé aujourd'hui, il est allé d'un pays à l'autre, non pas revenu à son point de départ. Enfin la pâque même que nous célébrons ne signifie point retour mais passage, et la Galilée où on nous, promet que nous verrons le ressuscité, n'a pas le sens de retour, mais de transmigration. Je m'imagine que l'esprit de plusieurs d'entre vous me devance et soupçonne où j'en veux venir ; je le dirai pourtant, mais en deux mots, afin de ne point fatiguer votre attention par un trop long discours dans ce jour de fête. Si, après la consommation de la croix, le Christ n'était revenu à la vie que pour recommencer notre existence pleine de misères, je ne vous dirais point, mes frères qu'il a passé mais qu'il est revenu, ni qu'il s'est élevé à un état plus sublime, mais qu'il est rentré dans celui où il était auparavant. Mais comme il est entré dans une vie toute nouvelle, il nous invite, par son exemple, à faire aussi notre pâque et à le suivre dans la Galilée, d'autant plus, qu'en montrant par le péché, il n'est mort qu'une fois, et que, maintenant qu'il vit, il vit non pour la chair, mais pour Dieu.
15. Or, que disons-nous, nous qui dépouillons la sainte résurrection du Seigneur du nom qui lui est propre, et qui en faisons plutôt un retour qu'un passage pour nos âmes ? Nous avons versé des larmes pendant ces derniers jours, nous avons vaqué à la componction et à la prière, au recueillement et à l'abstinence, afin de racheter et d'effacer, pendant cette sainte quarantaine nos négligences du reste de l'année. Nous avons communié aux souffrances du Christ, et nous avons été entés de nouveau sur lui, par un second baptême, par le baptême de larmes, de pénitence et de confession, s'il m'est permis de parler ainsi. Si donc nous sommes véritablement morts au péché, comment pourrons-nous revivre au péché ? Si nous avons pleuré sur nos négligences, comment se peut-il que nous y retombions encore désormais ? On nous retrouvera donc encore curieux et bavards comme auparavant, lâches et négligents comme jadis, vains, soupçonneux, détracteurs, colères, et le reste, après avoir gémi dans ces derniers temps de trouver tous ces défauts en nous. J'ai lavé mes pieds, comment pourrai-je me décider à les souiller de nouveau ( Cant. V, 3 ) ? Je me suis dépouillé de ma vieille tunique ; comment consentirai-je à m'en revêtir encore ? Le faire ce n'est point émigrer, mes frères, ce n'est pas prendre le chemin qui nous fera voir le Christ, ce n'est pas en suivant cette route que nous arriverons au lieu où Dieu nous montrera les Sauveur qu'il nous envoie : après tout, quiconque regarde en arrière, est indigne du royaume de Dieu ( Luc. IX, 62 ).
Saint Bernard blâme les abus des chrétiens pendant ces jours de fête.
16. C'est dans ces dispositions que se trouvent les amis du siècle qui sont les ennemis de la croix de Jésus-Christ dont ils ont reçu en vain le nom de chrétiens ; pendant tout le temps de cette sainte quarantaine, ils n'aspirent qu'après le jour de la résurrection, hélas, afin de se livrer plus librement au plaisir. Ah ! mes frères, en pensant à celà, un voile de tristesse s'abaisse pour moi sur la joie de cette solennité, aussi gémissons-nous et versons-nous des larmes sur la profanation de cette fête que nous ne pouvons point ne pas voir aujourd'hui, que dis-je, que nous ne pouvons point ne pas voir surtout aujourd'hui. Ô douleur ! le jour de la résurrection du Sauveur devient un jour de péché, une époque de retour au mal ! En effet, à partir d'aujourd'hui les repas et les excès de table recommencent, les débauches et les impudicités reprennent leur cours, la concupiscence a la bride sur le cou, comme si le Christ n'était ressuscité que pour cela, non point plutôt pour notre justification ?
La confession pascale.
Vous lui avez préparé une salle pour le recevoir à son arrivée prochaine, vous avez confessé vos péchés avec larmes et gémissements, vous avez châtié votre corps et répandu des aumônes, et voilà que à peine entré chez vous, vous le livrez à ses ennemis, que dis-je, vous le forcez à fuir, en rappelant vos anciennes iniquités. La lumière, vous le savez bien, ne peut habiter en même temps avec les ténèbres, ni le Christ avec l'orgueil, avec l'aversion avec l'ambition, avec la haine de nos frères, avec la luxure et la fornication. Devons-nous donc faire moins pour lui présent, que pour lui devant venir ? En quoi donc le jour de la résurrection du Sauveur réclame-t-il moins de respect, que celui de sa passion ? Mais vous, ô mondains, ce n'est que trop évident, vous n'honorez ni l'un ni l'autre. Car si vous aviez véritablement partagé ses souffrances, vous régneriez maintenant avec lui, vous ressusciteriez avec lui.
La fausse pénitence, son châtiment.
17. Pour moi, toute humiliation qui n'est pas suivie de l'allégresse spirituelle n'est que le fruit d'une habitude qui se fait sentir à ses jours, c'est un semblant d'humiliation. Aussi l'Apôtre nous dit-il « Voilà pourquoi il y en a tant qui sont infirmes ou sans forces, tant qui s'endorment du sommeil de la mort ( I Cor. XI, 30 ). » Oui, de là viennent ces mortalités fréquentes qui désolent certaines contrées, surtout de nos jours. En effet, qu'est-il arrivé ? C'est que vous avez été saisis au milieu d'angoisses extrêmes, vous tous qui avez prévariqué, que dis-je, prévariqué, qui avez persévéré dans vos prévarications et en avez ajouté de nouvelles aux anciennes ; qui n'avez point fait pénitence, ou qui n'avez fait qu'une pénitence pleine de tiédeur, qui ne fuyez point les occasions dangereuses, même après en avoir fait une triste expérience, et n'évitez point les attraits du péché. Aussi, l'ennemi du salut vous a-t-il serrés dans ses liens, comme dit l'Écriture, avec tant de force que les nerfs de la cuisse en étaient tout contractés par la violence ( Job. XL, 12 ). Si, ayant conscience de votre état, vous vous éloignez des sacrements de Jésus-Christ, vous n'avez plus rien de commun avec lui, vous n'avez plus la vie en vous. Entendez-le vous dire, en effet : « si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'avez point la vie en vous ( Joan. VI, 54 ). » Mais si d'un autre côté vous les recevez indignement, vous mangez votre propre condamnation, parce que vous ne distinguez point le corps saint du Seigneur, d'une nourriture ordinaire ( I Cor. II 29 ). Rentrez donc en vous-mêmes, pécheurs, cherchez le Seigneur de toute votre âme, et haïssez le mal de toutes vos forces : faites pénitence, non du bout des lèvres, mais en esprit et en vérité.
Une marque de fausse pénitence est de ne pas fuir les occasions du péché.
Or, ce n'est pas, du moins il me le semble ainsi, ce n'est pas se repentir de sa faute comme il faut, que de demeurer encore sur la voie glissante du péché ; ni de ses égarements, que de ne point chercher un guide. Les marques d'une vraie pénitence se trouvent dans la fuite, dans le retranchement des occasions du mal. Autrement, il est bien a craindre que ce jour, dont on peut dire aussi d'ailleurs qu'il est un jour de ruine et de résurrection pour plusieurs, ne soit pour vous un jour de réprobation, soit parce que vous êtes manifestement loin du Christ, puisque vous ne le recevez point dans la communion, soit parce que vous vous en approchez dans la société de Judas, en qui Satan entra aussitôt après qu'il eût pris la bouchée de pain que Jésus lui présenta.
18. Mais après tout, mes frères, qu'ai-je à m'occuper des gens du dehors ? à moins que ce ne soit pour gémir de nous être trouvés autrefois pris dans les mêmes filets qui les retiennent encore, et pour nous féliciter d'être sortis, par un effet de la grâce seule de Dieu, de ces liens où nous ne pouvons nous empêcher de déplorer avec des larmes de frères de les voir encore retenus. D'ailleurs, plaise à Dieu que nous nous trouvions nous-mêmes tout à fait exempts de cette malheureuse et sacrilège servitude, et que, au lieu de décroître en ferveur et de diminuer nos pratiques spirituelles depuis que le jour de la sainte résurrection du Sauveur a lui, nous nous efforcions au contraire d'avancer sans cesse et de croître toujours davantage.
Marques d'une résurrection spirituelle.
Quiconque, après les lamentations de la pénitence, ne retourne plus aux consolations charnelles, et met au contraire toutes ses espérances dans la divine miséricorde, s'engage dans une voie nouvelle de piété, si je puis le dire, et marche vers la joie qui vient de l'Esprit-Saint : aussi est-il encore moins accablé par le souvenir du passé que charmé, embrasé même par la pensée des récompenses éternelles ; celui-là, dis-je, est véritablement ressuscité avec Jésus-Christ, célèbre une vraie Pâque et se rend en effet en toute hâte dans la Galilée. Pour vous donc, ô mes bien-aimés, si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez maintenant ce qui est dans le ciel où le Christ est assis à la droite de Dieu. N'ayez de goût que pour les choses du ciel, non plus pour celles de la terre ( Coloss. III, 1 et 1 ) ; afin que, de même que le Christ est ressuscité d'entre les morts par la gloire de son Père, vous marchiez aussi dans une voie nouvelle ( Rom. VI, 4 ), et passiez avec bonheur des joies et des consolations du siècle par la componction des cœurs et la tristesse de l'âme, qui est selon Dieu, à une sainte dévotion, à une joie toute spirituelle, avec la grâce de celui qui est passé de ce monde à son père, et qui daigne nous appeler à sa suite dans la Galilée, pour s'y montrer à nous, lui qui est Dieu et béni par-dessus tout dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
[a1-1]. Telle est la leçon de ce Psaume telle qu'elle se lit encore maintenant dans la version Romaine ou italique du Psaume XCV, ainsi que dans notre Psautier de saint Germain. Voir le Dialogue de saint Justin avec Tryphon.
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Homélie sur le psaume 117
Saint Jean Chrysostome.
1. « Louez le Seigneur parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles. »
Analyse. p. 158
1. La miséricorde du Seigneur est infinie : témoin la maison d'Israël, qui, au milieu de ses épreuves, a reçu des grâces si nombreuses ; témoin la maison d'Aaron en faveur de laquelle se sont opérées tant de merveilles. Mais pour voir cette miséricorde il faut craindre Dieu dont la Providence n'est visible qu'à ceux qui sont exempts de passions et de préjugés. — 2. Il suffit d'être malheureux pour avoir droit à la bonté divine. Avec son aide et sa protection on n'a rien à craindre, car, dit saint Paul, « si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Mais pour s'en rendre digne, il faut mettre de côté toute confiance dans les secours humains et lui demeurer constamment attaché. — 3. Le Seigneur attend pour nous secourir que tout soit désespéré, humainement parlant, afin que son secours soit peu évident. Par ce moyen, il nous empêche de nous attribuer un succès qui n'est dû qu'à lui et il excite davantage notre reconnaissance. — 4. La bonté du Seigneur ne se borne pas à nous délivrer des maux, mais elle nous met en possession de la gloire et de l'illustration, en nous délivrant de la corruption du tombeau pour nous ressusciter à une vie meilleure. — 5. Mais les portes de l'éternité bienheureuse ne s'ouvriront que pour ceux qui auront été châtiés et éprouvés en ce monde. C'est pourquoi le Psalmisle remercie le Seigneur d'avoir eu à souffrir. — Ici est rappelé le principal bienfait, la merveille par laquelle Dieu nous a ouvert le Ciel, je veux dire le mystère de l'Incarnation du Verbe. — 6. Béni soit donc Celui qui vient au nom du Seigneur, que notre vie soit employée à le bénir, à le remercier, à profiter de ses grâces et de ses exemples, et célébrons à jamais, invitons toute créature à s'unir à nous pour célébrer ses miséricordes infinies !…
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pp. 158-159
4. Il y a une parole de ce psaume que le peuple a coutume de répéter en chœur après chaque vers, et c'est la suivante : « C'est ici le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous-y donc et soyons pleins d'allégresse. » À ces mots, presque tous se lèvent, et c'est surtout le chant que les fidèles ont l'habitude de faire entendre dans cette assemblée spirituelle, dans cette fête céleste. Pour nous, si vous le voulez bien, nous parcourrons ce psaume dès le début et nous commencerons notre explication dès les premiers mots et non pas au verset qui sert de refrain. Nos pères permirent aux simples fidèles de s'en tenir à ce verset parce qu'il était harmonieux et qu'il renfermait un dogme sublime. Du reste, ils n'auraient pu retenir le psaume en entier et ces paroles exprimaient la doctrine la plus parfaite. Quant à nous, il faut que nous le voyions dans son ensemble, quoique la plus grande prophétie soit au milieu. Car c'est au verset 22 qu'on lit : « La pierre que ceux qui bâtissaient avaient rejetée, a a été placée à la tête de l'angle. » C'est du reste ce que le Christ lui-même dit aux Juifs, un peu moins clairement sans doute : il ne voulait pas augmenter encore la colère dont ils étaient enflammés, « car il ne brisera point le roseau cassé et il n'éteindra point la mèche qui fume encore » ( Isaïe 42, 3 ). Néanmoins il le leur dit : attaquons donc ce psaume par son début, comme nous l'avons déjà dit. Et quel est ce début : « Louez le Seigneur parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles. » Le Prophète ayant présents à l'esprit les bienfaits dont le Seigneur a comblé toute la terre, sa bonté infinie et sa miséricorde qui éclatent en toutes choses, s'attache à faire ressortir la source de tant de biens. « Que la maison d'Israël dise maintenant « que le Seigneur est bon et que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles ( 2 ). »
Qu'est-ce que j'entends ? « La maison d'Israël » qui a souffert des captivités nombreuses, qui a servi en Égypte, qui a été emmenée aux extrémités de la terre, qui en Palestine a enduré des maux sans nombre ! Sans doute, me répond le Psalmiste. Il n'y a point de meilleurs témoins de ces bienfaits et personne n'en a reçu de plus nombreux et de plus signalés. Bien plus, leurs épreuves mêmes sont une marque de son infinie bonté, et un examen un peu attentif prouvera qu'ils lui doivent de grandes actions de grâces pour la venue du Sauveur, car les maux dont elle a été pour eux la source doivent être attribués à leur malice et non à Notre-Seigneur. En effet, c'est pour eux qu'il venait et il leur répétait souvent : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël ( Matth. 15, 24 ), » et à ses disciples : « N'allez point dans les terres des Gentils, mais plutôt aux brebis perdues de la maison d'Israël ( Ibid. 10, 5, 6 ) ; » et à la Chananéenne : « Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens » ( Ibid. 15, 26 ). Toutes ses démarches, toutes ses actions se rapportaient donc à leur salut. S'ils parurent dans la suite indignes de ces bienfaits, c'est à leurs crimes et à leur ingratitude extraordinaire qu'il faut l'imputer. « Que la maison d'Aaron dise maintenant que le Seigneur est bon et que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles ( 3 ). »
pp. 159-160
Le Prophète fait ici un appel spécial aux prêtres, afin qu'ils viennent chanter les louanges du Seigneur, montrant ainsi l'excellence du sacerdoce. Car, par cela même qu'ils étaient supérieurs aux autres ils reçurent de Dieu plus de gloire, non seulement par l'honneur du sacerdoce, mais dans bien des circonstances. Ainsi quand le feu sortit du Tabernacle ( Lévit. 10, 2 ), ce fut à cause d'eux ; et la terre qui s'entr'ouvre ( Nomb. 16, 32 ), et la verge qui fleurit ( Ibid. 17, 8 ), et tant d'autres prodiges ont lieu à cause d'eux et pour eux.« Que tous ceux qui craignent le Seigneur disent maintenant qu'il est bon, que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles ( 4 ). » Car ce sont ceux-là principalement qui peuvent voir sa bonté et en toutes circonstances trouver les preuves de sa miséricorde. Que signifient ces paroles : « Sa miséricorde s'étend dans tous les siècles ? » C'est-à-dire que continuellement et sans interruption elle se montre avec éclat dans tous les événements. Il est vrai que ceux dont les yeux de l'âme sont trop faibles ou que quelques passions rendent malades, n'aperçoivent pas cette bonté et cette miséricorde, pas plus que ceux dont les yeux sont malsains ne peuvent contempler le soleil. Et ceux mêmes qui les ont bien disposés sont forcés de les détourner de sa splendeur. Ainsi en est-il de la Providence générale de Dieu dont la prudence et la sagesse sont si élevées qu'elles sont infiniment au-dessus de toute raison humaine. Ajoutez à cela mille cupidités qui, en nous rendant insensés, nous ôtent la vue et nous empêchent de l'apercevoir. La première est l'amour de la volupté qui fait passer par-dessus les choses les plus manifestes sans qu'on les découvre. La seconde est l'ignorance et le dérèglement de l'esprit. Si nous voyons un père châtier son enfant, nous l'approuvons, nous le louons même, et c'est à ce signe surtout que nous reconnaissons qu'il est père. Que Dieu veuille au contraire nous punir de nos mauvaises actions, nous ne le supportons pas, nous sommes indignés. Quelle absurdité ! quelle perversité comparable à celle-là, puisqu'elle nous fait révolter contre des choses tout à fait opposées et nous fait gémir ici de la présence du châtiment, là de son absence. Que l'on aperçoive des hommes qui volent, qui envahissent le bien d'autrui, on veut bien qu'ils soient punis. Quand il s'agit de ses propres fautes on raisonne tout autrement. Ce qui est l'indice d'un cœur dépravé et corrompu. La troisième, c'est le défaut de discernement de ce qui est bien d'avec ce qui est mal, ce qui fait porter des jugements faux ; ce défaut vient de ce qu'on est entièrement adonné au vice et qu'on se complaît dans le mal. La quatrième, le peu de connaissance qu'on a de la grandeur de ses fautes. Une cinquième cause de notre aveuglement, c'est la distance infinie qui se rencontre entre Dieu et les hommes. Il faut ajouter que Dieu ne veut pas toujours tout découvrir parce qu'il juge qu'il doit nous suffire de connaître peu à peu les événements.
2. Il ne faut donc pas trop chercher à pénétrer en toutes choses la Providence divine, ce serait prétendre à des choses infinies et infiniment au-dessus de toute nature créée. Quant à ceux qui veulent la comprendre sur certains points il faut qu'ils soient exempts de ces passions dont nous venons de parler, et alors ils la verront plus clairement que le soleil, quoi que partiellement, et le peu qu'ils en verront leur apprendra à rendre grâces pour le tout. « J'ai invoqué le Seigneur du milieu de l'affliction, et le Seigneur m'a exaucé, et m'a mis a au large ( 5 ). » Quelle miséricorde ! quelle bonté de la part du Seigneur ! Le Psalmiste ne dit pas : j'étais digne, il ne dit pas : j'ai montré mes bonnes œuvres, mais simplement : « J'ai invoqué, » et ma prière a suffi pour éloigner de moi le malheur. C'est ainsi que parle Dieu à propos des Égyptiens : « J'ai vu l'affliction de mon peuple et je suis descendu pour le délivrer » ( Exod. 3, 7-8 ). Il ne dit pas : J'ai vu la vertu de mon peuple ou son retour à de meilleurs sentiments, mais son affliction, et j'ai entendu ses cris de détresse. Qui ne reconnaîtrait, à ces traits, le père bienfaisant et miséricordieux qui s'empresse de secourir par le seul motif qu'on est malheureux ? Les hommes ne regardent pas comme digne d'être sauvé quiconque est affligé, et s'il leur arrive de voir torturer et battre de verges des esclaves, ils ne volent pas à leur secours, mais ils sont arrêtés par la considération de leurs fautes. Dieu a pardonné par cela seulement qu'on était affligé, et non content d'avoir délivré de l'affliction, il a procuré une grande sécurité. « Il m'a exaucé, » dit le Psalmiste, et il m'a mis au large. Il y a plus ; l'affliction n'a été permise qu'afin de rendre meilleurs et plus sages ceux qu'elle a frappés. Le Seigneur est mon soutien et je ne craindrai point ce que l'homme pourra me faire ( 6 ). »
Quelle grandeur d'âme ! quel esprit élevé ! Comme il sait monter au-dessus de la faiblesse humaine pour mépriser toute la nature ! Ne nous contentons pas de constater le fait, mais apportons des preuves à l'appui. Le Psalmiste ne dit pas : Je ne souffrirai plus, mais : « Je ne craindrai point ce que l'homme pourra me faire. » C'est-à-dire, quoique je souffre, je ne craindrai rien, exprimant la même pensée que saint Paul quand il s'écrie : « Si Dieu est pour nous qui sera contre nous » ( Rom. 8, 31 ) ? Pourtant les ennemis des Juifs étaient innombrables, mais rien ne les accablait. Ne faudrait-il pas en effet, une âme bien pusillanime et bien basse pour craindre ses semblables quand elle a la protection et l'amitié du Seigneur ? Ici au contraire elle est supérieure à toutes les craintes qui l'assaillent de toutes parts. Agissons nous-mêmes de la sorte de peur que nous ne nous privions du secours de Dieu en redoutant trop les obstacles humains, car cette crainte serait une insulte envers l'assistance divine. Telle fut la cause des malheurs qui fondirent sur la maison d'Ezéchias. En effet, le soleil avait rétrogradé et était revenu sur ses pas, et ce miracle aurait suffi pour remplir d'effroi ceux qui étaient venus pour le constater ; mais le roi craignant d'être un jour assailli par ses visiteurs voulut les effrayer et exciter leur admiration, non par les prodiges dont il avait été l'objet, mais par des choses humaines : c'est pourquoi il leur montra ses trésors dans lesquels il plaçait toute sa confiance ( 4 Rois 20, 11, et suiv ). Aussi, Dieu irrité lui dit par son prophète : « Tout cela te sera ravi ( Ibid. ), » c'est-à-dire, ces objets dans lesquels tu te confies et tu mets tes espérances. Israël, à son tour, est accusé de se confier dans ses trésors et dans ses chevaux. Que fait le prophète ? Il les avertit de se hâter d'apaiser le Seigneur par une conduite tout opposée et de dire : « Nous ne monterons pas sur nos chevaux ( Osée 14, 4 ). Dieu vous honore et vous le méprisez. Dieu vous honore en vous offrant son secours et vous vous abandonnez aux espérances humaines, prétendant trouver le salut dans l'argent qui n'est qu'une vile matière. Non seulement il veut nous sauver, mais il veut nous honorer en même temps. Il nous aime ardemment, voilà pourquoi il veut nous séparer de tout pour nous attacher à lui seul : il nous retranche tout pour nous amener à lui et chacun de ses actes semble nous dire : « Espérez en moi » et demeurez-moi constamment attachés. « Le Seigneur est mon soutien et je mépriserai mes ennemis ( 7 ). »
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Il ne se venge pas, il ne punit pas ses ennemis, mais il remet ce soin à Dieu, « II est bon de se confier au Seigneur plutôt que de se confier dans l'homme ( 8 ). Il est bon d'espérer au Seigneur plutôt que d'espérer dans les princes ( 9 ). » Il ne s'agit pas ici d'une comparaison, mais l'Écriture a coutume de s'exprimer ainsi, même dans les choses qui n'admettent pas de comparaison, pour condescendre à la faiblesse de ceux auxquels elle s'adresse. Le Psalmiste n'a donc pas voulu établir une comparaison, mais simplement s'abaisser jusqu'à notre intelligence. C'est dans le même sens qu'un autre prophète a dit : « Maudit soit l'homme qui met sa confiance en l'homme » ( Jér. 17, 5 ) ! Rien n'est plus faible, en effet, que cette espérance. Une toile d'araignée offrirait plus de ressource. Cette espérance n'est pas seulement faible, elle est encore dangereuse. J'en prends à témoin ceux qui se sont souvent confiés dans les hommes avec lesquels ils ont été accablés. La confiance en Dieu n'est pas seulement solide, mais elle est sûre et à l'abri de tout changement. Aussi saint Paul proclamait que l'espérance en Dieu ne trompe jamais ; et dans un autre endroit la sagesse s'exprime ainsi : « Considérez tout ce qu'il y a d'hommes parmi les nations et voyez s'il y en a un seul qui ait espéré dans le Seigneur et qui ait été confondu » ( Eccli. 11, 11 ). Mais moi, direz-vous, j'ai espéré en vain. Voilà une bonne parole, mes frères, mais elle ne contredit en rien la sainte Écriture. En effet, si vous avez été confondus, c'est que vous n'avez pas espéré comme il fallait, que vous avez cessé d'espérer, que vous n'avez pas attendu la fin, que vous avez été faibles. Agissez autrement désormais, et quand vous serez sous le poids des malheurs ou des difficultés, ne perdez pas courage, car l'espérance consiste surtout à demeurer fermes au milieu des maux et des périls les plus grands.
3. Quel malheur comparable à celui de ces barbares Ninivites ! Ils étaient déjà enlacés dans les filets de leurs ennemis, la ruine de leur ville était imminente : néanmoins, ils ne perdirent pas courage, mais ils donnèrent les plus grands signes de pénitence et ils obtinrent que Dieu révoquât sa sentence. Voilà qui nous montre bien la vertu de l'espérance. Et croyez-vous que dans le ventre de la baleine le Prophète ne songeait pas encore et au temple, et à son retour dans la ville de Jérusalem ( Jon. 2, 5 ) ? Vous aussi, fussiez-vous aux portes de la mort et exposés de toutes parts aux plus grands périls, ne désespérez pas, car Dieu sait dans les circonstances même les plus difficiles trouver une heureuse issue. C'est ce qui a fait dire à la sagesse : « Du matin au soir il y a de nombreux changements et tout cela est faible aux yeux de Dieu » ( Eccli. 18, 26 ). Rappelez-vous l'histoire de ce tribun mourant de faim au milieu de l'abondance la plus grande ( 4 Rois 7, 2 ). Et celle de la veuve qui était dans l'abondance malgré sa pauvreté ( 3 Rois, 17, 2 et suiv. ). Plus la misère dans laquelle vous vous trouvez est extrême, plus vous devez espérer. Car le moment que Dieu choisit de préférence pour montrer sa puissance, ce n'est pas aussitôt que commencent nos épreuves, mais c'est lorsque tout semble désespéré. C'est alors le vrai temps du secours de Dieu. Aussi voyons-nous qu'il ne délivra pas d'abord les trois jeunes hommes de Babylone, mais seulement après qu'ils eurent été jetés dans la fournaise ( Dan. 3, 93 ). Ni Daniel avant qu'il eût été mis dans la fosse aux lions, mais seulement sept jours après ( Dan. 14, 39, 40 ). Il ne faut pas faire attention à la nature des choses qui ne peut que jeter dans le désespoir, mais à la puissance de Dieu qui amène à bonne fin ce qui paraissait sans ressource. C'est ce que veut nous montrer le Psalmiste en même temps que nous faire comprendre les ressources de la puissance divine qui peut délivrer ceux qui sont tombés dans les plus grands maux dont ils sont accablés et comme écrasés, quand il ajoute : « Toutes les nations m'ont assiégé ( 10 ). »
Comprenez-vous l'imminence du danger ? Il ne s'agissait pas de livrer une bataille, de résister aux ennemis d'un seul pays, mais le Roi-Prophète était cerné et comme enveloppé d'un filet ou comme pris dans un piège ; et cela, non par un, par deux ou par trois ennemis, mais par toutes les nations réunies. Et cependant tous ces biens, malgré leur nombre et leur force, sont brisés par la confiance en Dieu, « Mais je les ai repoussées au nom du Seigneur. Elles m'ont assiégé et environné et je les ai repoussées au nom du Seigneur ( 11 ). « Elles m'ont toutes environné, comme des abeilles le rayon de miel, et elles se sont embrasées comme un feu qui a pris à des épines, mais je les ai repoussées au nom du Seigneur ( 12 ). »
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Comme le Psalmiste nous dépeint bien la grandeur de son infortune ! II ne s'est pas contenté de dire : « Elles m'ont environné, » mais il les compare à des abeilles et au feu dans les épines. Les abeilles indiquent une grande vivacité dans l'action et les épines une colère irrésistible et une soif de vengeance inextinguible. Est-il possible en effet de résister au feu qui est tombé sur des épines ? Cependant, dit le Prophète, alors que mes ennemis excités contre moi m'assaillaient avec la violence et la rapidité de l'incendie, non seulement j'ai pu m'échapper, mais je les ai repoussés. Le même prodige s'opère sur la matière, le feu brûlait un buisson, et le buisson n'était pas consumé, et le feu ne s'éteignait pas, mais ces deux substances demeuraient ensemble sans se détruire ( Ex. 3, 2 ). Cependant, qu'y a-t-il de plus faible que le bois d'un buisson, de plus ardent que le feu ? Mais la puissance admirable de Dieu, qui opère des miracles qui nous surpassent, permit qu'il en fût ainsi. Il se produisit un miracle semblable pour le Roi-Prophète. Ses ennemis accouraient avec la rapidité de la flamme, et comme des abeilles, ils l'entouraient avec une grande vivacité, ils le cernaient de tous côtés, mais leurs efforts furent vains. Les armes invincibles et le secours inexpugnable du nom de Dieu les dispersa tous, « J'ai été poussé, on a fait effort pour me renverser, et le Seigneur m'a soutenu ( 13 ). »
Le Psalmiste nous a fait connaître la grandeur de ces maux par la multitude et les dispositions menaçantes, par l'ardeur et l'acharnement de ceux qui l'entouraient : maintenant il arrive à ce qu'il a souffert. J'ai été eu butte à tant d'infortunes, nous dit-il, que j'ai failli être renversé et abattu. J'ai été tellement pressé et presque renversé que j'étais sur le point de tomber, mais au moment de m'abattre sur mes genoux, comme j'étais déjà penché et sans espoir dans les secours humains, le Seigneur a fait paraître son secours. Or Dieu en use de la sorte afin que personne ne lui ravisse et ne s'attribue la gloire qui re vient à lui seul. C'est ainsi qu'il fit pour Gédéon dans l'histoire des Juges ( Juges 7 ). Et voilà pourquoi encore, sous le règne d'Ezéchias, il choisit la nuit pour remporter une brillante victoire ( 4 Rois 19, 35 ). En effet, si ce prince qui n'avait pris part ni au combat, ni à la victoire, devint néanmoins si téméraire, il l'eût été bien davantage s'il eût assisté à la défaite de ses ennemis et s'il les eût vus tomber. C'est donc bien à l'instant où tout semble désespéré que Dieu donne son secours. Témoin Goliath ( 1 Rois 17 ), témoins les apôtres. Écoutez saint Paul : « Nous avons entendu prononcer en nous-mêmes l'arrêt de notre mort, afin que nous ne mettions point notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts » ( 2 Cor. 1, 9 ). Le Seigneur est ma force et le sujet de mes louanges. C'est bien en lui que j'ai trouvé mon salut ( 14 ). »
En d'autres termes, il a été ma puissance et mon secours. Mais que signifient ces mots : « Le sujet de mes louanges ? » C'est que non seulement il délivre des périls, mais il rend célèbre et illustre et partout on peut constater qu'il sauve et qu'il glorifie tout à la fois. Ces paroles ont encore un autre sens caché que voici : qu'à jamais, dit-il, je chante l'hymne de ma reconnaissance, que ma voix lui soit consacrée entièrement, et que je ne sois occupé désormais qu'à le louer.
4. Combien donc sont coupables et quelle perte éprouvent ceux qui se souillent par des chants diaboliques, et qui se plaisent à faire entendre continuellement les cantiques du démon, bien différents de ce juste qui loue sans cesse son Sauveur, « Les cris d'allégresse et du salut se font entendre dans les tentes des justes ( 15 ). » Après un succès complet remporté par Dieu, ceux qui jouissent de la victoire sont dans la joie et l'allégresse, par la double raison qu'ils sont sauvés et qu'ils le sont par Dieu. La cause de leur joie est le Seigneur lui-même qui a triomphé. Mais il faut que nous sachions ce qui a engagé Dieu à donner son assistance, et le Psalmiste ajoute : « Dans les tentes des justes. » Il ne s'agit pas de maison, mais de tentes, » pour indiquer que c'est une demeure où l'on ne doit s'arrêter qu'en passant. Telle était la tente d'Abraham, quand après avoir vaincu les rois il revenait couvert de la gloire que ses exploits lui avaient méritée. Telle la tente de Paul quand il rentrait après avoir triomphé des démons, fait disparaître l'erreur, et s'être rendu célèbre par ses succès. — « La droite du Seigneur a fait éclater sa puissance, la droite du Seigneur m'a élevé ( 16 ). »
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Tel est le sujet de l'allégresse du Psalmiste. Il ne fait que répéter ici ce qu'il disait tout à l'heure en montrant que tous ses succès sont l'œuvre de Dieu : Il est donc bien vrai que sa bonté ne se borne pas à nous délivrer des maux, mais qu'elle nous met encore en possession de la gloire et de l'illustration. En effet, après avoir dit : « La droite du Seigneur a fait éclater sa puissance, » il a ajouté : « La droite du Seigneur m'a élevé, » pour faire ressortir la gloire qui avait rejailli sur lui. Car, « m'a élevé » signifie, m'a comblé de gloire, et c'est ainsi que Dieu donne non seulement la force, mais encore la grandeur. — « Je ne mourrai point, mais je vivrai, et je raconterai les œuvres du Seigneur ( 17 ). »
Les périls me menaçaient de la mort, mais j'ai dit : « Je ne mourrai point, mais je vivrai. » C'est-à-dire, la puissance du Seigneur est si grande que même avant la Nouvelle Loi, il a délivré de la mort au milieu de périls qui ne laissaient plus d'espoir, préconisant ainsi d'avance la résurrection future dont il nous a du reste donné une image dès l'origine en enlevant Hénoch au ciel ( Gen. 5, 24 ). Si vous ne croyez pas possible la résurrection des morts, que ce fait vous serve de preuve. Comment, en effet, ce corps a-t-il pu subsister aussi longtemps ? Car il y a bien de la différence entre relever une maison qui tombe en ruines et conserver autant de temps celle qui s'écroule de vétusté. Ne songez-vous donc point que le Seigneur a créé l'homme qui n'existait pas ? À plus forte raison pourra t-il le rendre à la vie. Nous avons encore une autre figure de la résurrection dans l'enlèvement d'Élie qui n'est pas encore mort ( 4 Rois, 2, 11 ). Pour Dieu, tout se fait vite et facilement. « Il n'y a rien d'impossible à Dieu, » dit l'Evangéliste ( Luc 1, 37 ) ; et le Prophète : « Tout ce qu'il a voulu, il l'a fait » ( Ps. 113, 11 ). Le travail d'un artisan quelconque ne vous serait-il pas impossible ? Néanmoins vous vous inclinez devant sa science. Et ainsi, tandis que vous consentez à vous soumettre, devant l'habileté de votre semblable, vous voulez contrôler les œuvres de la sagesse du Seigneur, et pour ne pas les admettre, vous refusez un acte de foi. Quelle folie ! « Je ne mourrai pas, mais je vivrai. » On peut, sans crainte de se tromper, entendre ces paroles dans le sens anagogique, car bien qu'elles aient été dites de la résurrection, « Je ne mourrai pas » signifiant que la mort n'est pas une mort véritable, elles veulent dire aussi dans une acception différente, « Je ne mourrai pas » d'une seconde mort. C'est dans ce dernier sens que le Christ disait : « Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, quand il serait mort, vivra, et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » ( Jean 11, 23, 26 ).
« Et je raconterai les œuvres du Seigneur. » Voilà principalement en quoi consiste la vie : Louer Dieu et annoncer à tous ses merveilles. De quelles œuvres s'agit-il ici, je vous prie ? De celles qui vont être rapportées : « Le Seigneur m'a châtié pour me corriger, mais il ne m'a point livré à la mort ( 18 ). » Comme on voit apparaître les œuvres admirables du Seigneur et l'utilité que nous en retirons ! David ne rend pas seulement grâces à Dieu de ce qu'il a été délivré, mais il regarde même sa chute comme un très signalé bienfait et la tentation comme un avantage en disant : « Le Seigneur m'a châtié pour me corriger. » Car l'utilité de la tentation consiste en ce qu'elle nous rend meilleurs. Admirons la puissance de Dieu et le soin qu'il prend de nous. Il a permis que David fût accablé de maux, puis il l'a délivré, car, dit ce saint roi, « il ne m'a pas « livré à la mort. » Ou, selon la belle interprétation d'une autre version : « Il ne m'a pas donné à la mort. » Paroles qui nous font bien voir que tout dépend de sa puissance. Et ainsi David a été sauvé deux fois, d'abord des maux du corps, et ensuite du péché. C'est pourquoi saint Paul disait aux Hébreux dans son épître : « Si vous n'êtes point châtiés, tous les autres l'ayant été, vous êtes donc des bâtards et non des enfants légitimes » ( Héb. 12, 8 ). — « Ouvrez-moi Ies portes de la justice afin que j'y entre et que je rende grâces au Seigneur ( 19 ). » Les portes s'ouvrent à ceux qui sont châtiés, qui déposent le fardeau de leurs péchés.
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5. Celui qui a été châtié peut dire avec assurance, « ouvrez-moi les portes de la justice. » Il faut prendre ces paroles dans le sens anagogique et les entendre des portes du ciel qui demeurent fermées aux méchants et qui ne s'ouvrent qu'à la vertu, à l'aumône et à la justice. — « C'est là la porte du Seigneur, et les justes entreront par elle ( 20 ). » Il y a les portes de la mort, les portes de la perdition, et les portes de la vie, les portes étroites et difficiles. Comme il y a plusieurs portes, le Prophète fait connaître ce qui distingue la porte du Seigneur en ajoutant : « C'est là la porte du Seigneur. » Les premières ne sont pas du Seigneur. Mais quelle est la marque de celle du Seigneur ? — C'est qu'elle s'ouvre pour ceux qui sont châtiés et affligés, car elle est étroite et basse. Or, si elle est basse, ceux qui sont affligés et opprimés entrent par elle, de même que celle qui mène à la mort est large et spacieuse. — « Je vous rendrai grâces de ce que vous m'avez exaucé et de ce que vous êtes devenu mon salut ( 21 ). » Le Psalmiste ne dit pas seulement à Dieu : « Vous m'avez exaucé ; » mais comme il avait été châtié et par là rendu meilleur, il lui rend grâces non seulement d'avoir été exaucé, mais encore d'avoir été châtié : c'est en cela du reste qu'il a été exaucé et il ne pouvait assez en remercier le Seigneur. Car, comme je vous l'ai dit et comme je ne cesserai de vous le répéter, il n'y a pas d'oblation ni de sacrifice comparables à l'oblation et au sacrifice de l'action de grâces. — « La pierre qu'ont rejetée ceux qui ont bâti a été placée à la tête de l'angle ( 22 ). » Qu'il s'agisse ici du Christ, c'est évident pour tous. Car lui-même dans les Évangiles cite cette prophétie en se l'appliquant, quand il dit : « N'avez-vous jamais lu que la pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient a été placée à la a tête de l'angle » ( Matth. 21, 42 ; Luc 20, 17 ) ?
Si ces paroles paraissent sans liaison avec ce qui précède et si cette prophétie ne fait qu'interrompre le cours de notre histoire, ce n'est pas une nouveauté qui doive nous surprendre, parce que la plupart des prophéties de l'Ancien Testament sont énoncées de la sorte. — Car si elles n'eussent pas été ainsi voilées, les Livres saints auraient été détruits. Ainsi, quand il est question de la naissance de notre Sauveur, quoique la prophétie paraisse se rattacher à l'histoire dont il s'agissait alors, elle n'a rien néanmoins de commun avec elle, comme par exemple celle-ci : « Une vierge concevra et elle enfantera un fils à qui on donnera le nom d'Emmanuel, c'est-à-dire, Dieu avec nous ( Is. 7, 14 ; Math. 1, 27 ). La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient. » — Par ceux qui bâtissaient on entend ici les Juifs, les docteurs de la loi, les scribes, les pharisiens, qui ont rejeté le Sauveur en disant : « Vous êtes un Samaritain, vous êtes possédé du démon » ( Jean 8, 48 ). Et encore : « Cet homme n'est pas de Dieu, mais il séduit le peuple » ( Jean 8, 12 ). Malgré cette réprobation il a pourtant été jugé digne de devenir la principale pierre de l'angle. C'est que toute pierre n'est pas propre à être placée dans les angles : mais il faut pour cela des pierres de choix, capables de relier ensemble les deux côtés. Les paroles du Prophète peuvent donc s'interpréter ainsi : Celui que les Juifs ont rejeté avec mépris a paru tellement admirable que non seulement il a pu tenir sa place dans l'édifice, mais que même il a servi à relier les deux murs. Et quels sont ces deux murs ? — Les Juifs et ceux qui croyaient d'entre les Gentils, selon ce mot de saint Paul : « Car c'est lui qui est notre paix, qui des deux peuples ( du Juif et du Gentil ) n'en a fait qu'un, qui a rompu en sa chair la muraille de séparation, cette inimitié qui les divisait, et qui par sa doctrine a aboli la loi de préceptes, afin de former en soi-même un seul homme nouveau de ces deux peuples » ( Eph. 2, 14, 15 ). Et encore : « Vous êtes édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes en Jésus-Christ, qui est la principale pierre de l'angle » ( Ibid. 20 ).
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Dans ce qui précède, ce sont les Juifs surtout qui sont en cause, eux qui, voulant construire, n'ont pas su discerner la pierre convenable, mais qui ont rejeté, au contraire, comme défectueuse, celle qui pouvait faire la solidité de l'édifice. Maintenant, si nous voulons savoir de Notre-Seigneur lui-même quels sont ces deux murs, écoutons-le nous dire : « J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie et il faut que je les amène. Elles entendront ma voix et il n'y aura qu'un troupeau et qu'un pasteur » ( Jean 10, 16 ). Ce fait avait été figuré bien des siècles auparavant dans la personne d'Abraham qui fut le père de ces deux peuples, à savoir, les circoncis et les incirconcis. Mais encore une fois, ce n'était que la figure, nous avons la réalité dans Notre-Seigneur qui « est devenu la principale pierre de l'angle, » en réunissant ces deux nations. — « C'est le Seigneur qui a fait cette pierre ( 23 ). » Qu'est-ce à dire : « C'est le Seigneur qui a fait cette pierre ? » C'est que ce qui a été exécuté était au-dessus des hommes, et il n'était au pouvoir d'aucun d'eux, pas plus qu'au pouvoir des anges et des archanges de former un pareil angle. Nul ne peut opérer ce prodige, fùt-il juste, prophète, ange ou archange ; à Dieu seul était réservée cette œuvre admirable, elle est de son domaine exclusif. Une autre version porte : « C'est le Seigneur qui a fait cela. » C'est-à-dire cette œuvre admirable qui surpasse tout ce qu'on peut imaginer, l'œuvre de l'angle. « Et c'est ce qui paraît à nos yeux digne d'admiration. » Qu'est-ce qui paraît admirable ? — l'angle, la réunion de ces deux peuples en une même religion. Parmi les Juifs il y eut plusieurs myriades de croyants : les apôtres avaient été pris parmi eux. Le Psalmiste a eu bien raison de dire : « À nos yeux. » Car ce prodige ne brille pas à tous les regards. Qui ne serait étonné, ravi, en songeant que le Christ fut adoré là même où il avait été crucifié et que ceux qui le crucifièrent sont dans l'ignominie, tandis que ses adorateurs sont couverts de gloire ? Sa parole se répandit dans tout l'univers, ralliant tous les hommes à la vérité. C'est donc quelque chose d'admirable pour tous, à quelque point de vue qu'on se place, mais surtout et avec beaucoup plus d'évidence pour ceux qui croient, comme le marquent ces mots : « À nos yeux. C'est ici le jour que le Seigneur a fait : réjouissons-nous, et soyons pleins d'allégresse ( 24 ). » Le mot jour doit s'entendre ici non du cours périodique du soleil, mais des choses merveilleuses qui ont été accomplies. Car, de même qu'on dit d'un jour qu'il est mauvais, en faisant allusion, non à la marche du soleil, mais aux malheurs arrivés dans ce temps, ainsi on appelle bon le jour où il s'est passé de belles choses. Les paroles du Psalmiste peuvent donc se traduire ainsi : C'est Dieu qui a fait les choses admirables accomplies en ce jour, car sa main seule était capable de les réaliser.
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6. Y a-t-il rien qui soit comparable à ce jour ? C'est à pareil jour, en effet, qu'a eu lieu la réconciliation de Dieu avec les hommes ; alors l'antique guerre a été terminée, et la terre a envahi le ciel, et les hommes indignes de la terre ont paru dignes du royaume céleste, et les prémices de notre nature ont été élevées au-dessus des cieux, et le paradis a été ouvert, et nous avons recouvré notre ancienne patrie, et la malédiction a été abolie, et le péché a été détruit, et ceux qui avaient été punis par la loi ont été sauvés sans la loi, et la terre entière et la mer ont reconnu leur souverain, sans parler d'autres prodiges innombrables que notre discours ne suffirait pas à énumérer. Aussi le Prophète, après avoir repassé dans son esprit ces merveilles, les attribue toutes à Dieu, montrant que ce qui a été fait, a été fait par Dieu. « Réjouissons-nous en ce jour et soyons pleins d'allégresse. » Il s'agit ici d'une joie spirituelle, joie de l'esprit, joie de l'âme. « Réjouissons-nous en ce jour et soyons pleins d'allégresse » d'avoir été mis en possession de si grands biens. C'est la marque d'une grande vertu de se réjouir du bien, d'en tressaillir, d'en être rempli d'allégresse, de recevoir avec plaisir les bienfaits de Dieu. « Ô Seigneur, conservez, je vous en prie ; ô Seigneur, faites prospérer le règne de votre Christ, je vous en prie. » En voyant la prospérité de la terre, les changements et les transformations heureuses qui s'accomplissaient, le Psalmiste félicite ceux qui en sont l'objet et il s'écrie : « Ô Seigneur, conservez, je vous en prie, ô Seigneur, faites prospérer le règne de votre Christ, je vous en prie. » C'est-à-dire, conservez ceux qui jouissent, et pour que leurs désirs soient accomplis et qu'ils produisent des fruits dignes de votre grâce, rendez-leur la voie facile, afin qu'après être arrivés au terme de leurs désirs, ils ne se séparent plus de tels biens, « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ( 26 ) ! » C'est que nos biens ne consistent pas seulement dans ce qui a été fait, mais ils nous conduisent à d'autres biens, infiniment supérieurs : la résurrection, la vie éternelle, l'héritage avec le Christ ; toutes choses que le Psalmiste veut faire entendre par ces paroles : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Notre Sauveur a dit la même chose aux Juifs : « En vérité, en vérité je vous le dis, vous ne me verrez plus jusqu'à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » ( Matt. 23, 39 ) ? En effet, comme ils lui jetaient à la face, à tout propos, qu'il n'était pas de Dieu, qu'il était l'ennemi de Dieu, il leur dit : Vous me rendrez vous-mêmes témoignage que je ne suis pas l'ennemi de Dieu, quand vous m'aurez vu venir sur les nues et que vous vous serez écriés : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Paroles admirables et pleines de louanges qui rendront les Juifs inexcusables ; car les événements qui s'accompliront alors apporteront une telle lumière qu'ils arracheront ce cri qui sera tout à la fois, et la glorifi cation de Dieu et l'accusation la plus terrible contre ceux qui le proféreront, « Nous vous bénissons de la maison du Seigneur. Le Seigneur est le vrai Dieu et il a fait paraître sa lumière sur nous ( 27 ). » Il est question ici de tout le peuple fidèle qui a trouvé la bénédiction dans la maison du Seigneur. Partout on entend les prophètes appeler bienheureux ceux qui croiront. Pourquoi les bénédictions dont il s'agit ici et d'où vient ce bonheur ? C'est que « le Sauveur nous est apparu. La grâce de Dieu notre Sauveur a paru, et elle nous a appris que renonçant à l'impiété et aux passions mondaines, nous devons vivre avec tempérance, avec justice et avec piété, étant toujours dans l'attente de la béatitude que nous espérons et de l'avènement du grand Dieu et notre Sauveur, Jésus-Christ » ( Tit. 2, 11, 12, 13 ). Le Psalmiste admire ici les bienfaits de l'Incarnation, dans laquelle Notre-Seigneur a paru parmi nous, bien qu'il fût Dieu, et de la substance divine. Il a voulu dire qu'il était apparu, qu'il s'était revêtu de notre chair, qu'il avait passé par le sein d'une vierge, qu'il s'était, fait homme et qu'il avait habité parmi nous. C'est pourquoi il s'est écrié : « Nous vous bénissons » de nous avoir octroyé un tel bienfait. C'est ce que voulait faire entendre le Christ, quand il disait : « Beaucoup de prophètes et de justes ont souhaité de voir ce que vous voyez et ne l'ont point vu, et d'entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu » ( Matt. 13, 17 ). « Rendez ce jour solennel en couvrant de branches tous ces lieux, jusqu'à la corne de l'autel. » Une autre version porte : « Rassemblez des branches nombreuses pour orner le lieu de vos réunions. » Et une troisième : « Sacrifiez en ce jour de fête des victimes choisies. » Nous passons ainsi de la prophétie à l'histoire. C'est comme si le Psalmiste disait : « Mettez-vous en fête, rassemblez-vous en grand nombre. » Mais qu'est-ce à dire : « Rendez ce jour solennel en couvrant de branches tous les lieux ? » Ou bien, selon un autre interprète : « Sacrifiez des victimes choisies ? » Ou bien encore : « Ornez le temple de branches et de couronnes ? » On pourrait lire dans l'hébreu : « Esrou ag baad oth thim. » « Amenez l'agneau au milieu des branches touffues, jusqu'aux cornes de l'autel. » Mais quel que soit le sens qu'on adopte, il est question d'une fête, d'un jour de joie, d'une assemblée nombreuse. Et c'est ainsi qu'après avoir parlé de choses spirituelles, le Psalmiste revient aux objets matériels et rappelle leur retour. « Vous êtes mon Dieu et je vous rendrai mes actions de grâces ; vous êtes mon Dieu et je vous exalterai. Je vous rendrai grâce de ce que vous m'avez exaucé et de ce que vous êtes devenu mon salut ( 28 ). » David montre ici qu'il faut remercier Dieu, alors même qu'on n'en a reçu aucun bienfait, et qu'on doit le combler d'honneur et de gloire à cause de sa majesté, à cause de sa nature, à cause de sa gloire ineffable. C'est le sens de ces dernières paroles placées après rénumération des bienfaits qu'il a répandus avec profusion sur ses enfants, et il semble nous crier à tous : Même sans ces bienfaits, je serais reconnaissant et je rendrais grâces d'avoir un Seigneur si grand, si élevé, qu'il ne peut être ni vu ni compris. Car ici, « exalter » signifie glorifier. « Louez le Seigneur parce qu'il est bon, parce que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles ( 29 ). » Ce n'est point assez pour le Psalmiste d'offrir lui-même ce sacrifice de louanges, mais il appelle tous les hommes afin qu'ils s'unissent à lui pour prendre part à sa reconnaissance et à ses actions de grâces. Et il chante la bonté de Dieu, célébrant sa perpétuité et sa grandeur. Maintenant que nous sommes instruits de ces choses, soyons fidèles, nous aussi, à rendre continuellement nos actions de grâces à ce Dieu bon, à lui offrir ce sacrifice de louanges, afin de mériter les biens futurs, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !
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