Le père Matteo, notre curé.
Horaires du 29 juin au 6 juillet 2025.
Horaires du 22 au 28 juin.
Sermon pour la fête des apôtres
Saint Bernard
Pierre et Paul sont deux astres lumineux, deux maîtres et deux médiateurs.
1. C'est une glorieuse solennité pour nous, que celle qui est consacrée au souvenir de la mort si éclatante de deux illustres martyrs, des chefs des martyrs, des princes des apôtres. Je veux parler de Pierre et de Paul, ces deux astres brillants que Dieu a placés comme deux yeux dans son Église. Ils m'ont été donnés pour maîtres, et pour médiateurs, et je puis me confier à eux en pleine sécurité. Ce sont eux, en effet, qui m'ont enseigné les voies de la vie, et ils sont les médiateurs par lesquels je puis m'élever jusqu'au grand médiateur qui est venu rétablir la paix par son sang, entre la terre et les cieux. Ce médiateur est infiniment pur dans sa double nature, attendu qu'il n'a point commis le péché, et que le dol et la ruse ne se sont jamais trouvés sur ses lèvres. Aussi, comment oserais-je, moi qui ne suis que pécheur, doublé de pécheur, moi dont les péchés surpassent en nombre les grains de sable de la mer, comment, dis-je, oserai-je m'approcher de lui, de lui si pur, moi si impur. Ne dois-je pas craindre de tomber entre les mains du Dieu vivant, si je suis assez présomptueux pour m'approcher de lui, pour m'attacher à lui, à lui dont je suis séparé par la distance même qui sépare le bien du mal ? Voilà pourquoi Dieu m'a donné deux hommes, mais deux hommes qui fussent vraiment hommes, et pécheurs et très grands pécheurs même, deux hommes enfin, qui apprissent en eux-mêmes et par eux-mêmes, comment ils devaient avoir pitié des autres hommes.
Tous les deux furent pécheurs.
Ils ont été coupables eux-mêmes de si grands crimes, que de grands crimes trouveront aussi auprès d'eux une facile indulgence; ils se serviront pour les autres de la même mesure dont on se sera servi pour eux. L'Apôtre Pierre a fait un grand péché, peut-être même le plus grand qu'un homme pût faire, il en a néanmoins obtenu un aussi rapide que facile pardon, au point qu'il ne perdit rien de sa primauté. Et Paul, qui déchira d'abord les entrailles de l'Église naissante, avec une ferveur unique, incomparable, est amené à la foi par la voix du Fils de Dieu lui-même, et si rempli de tout bien en retour de tous ces maux qu'il a faits qu'il devint un vase d'élection, pour porter le nom de Jésus aux nations, et le prêcher devant les rois et les enfants d'Israël. Ce fut un vase digne de son emploi, rempli de choses excellentes, d'une nourriture substantielle pour l'homme sain, et de remèdes pour l'infirme.
On retrouve en Pierre et Paul les trois qualités requisent en un pasteur.
2. Il fallait au genre humain des pasteurs et des docteurs qui fussent doux et puissants sans oublier d'être sages. Doux pour me recevoir avec bonté, avec miséricorde, puissants pour m'assurer une forte protection, sages enfin pour me conduire dans la voie et par la voie qui mène à la cité sainte. Or, où trouver plus de douceur qu'en saint Pierre que les Actes des apôtres et ses propres Épîtres nous montrent appelant à lui les pécheurs avec tant de douceur ? Où trouver plus de puissance qu'en celui à qui la terre même obéit quand elle lui rendit ses morts ( Act. IX, 14 ); sous les pieds de qui les eaux mêmes de la mer devinrent solides ( Matthieu XIV, 29 ), qui, d'un souffle de sa bouche, précipita du haut des airs par terre, Simon le Magicien ( Act. VIII, 10 ), qui reçut enfin, d'une manière si exclusive, les clés du ciel en mains, que la sentence de Pierre doit précéder celle même du Ciel ? En effet, c'est à lui qu'il est dit : « Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié de même dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aussi dans le ciel ( Matthieu XVI, 19 ). » Où trouver enfin plus de sagesse que dans celui à qui ni la chair ni le sang, mais [366-2] le Père qui est dans les cieux, a révélé si abondamment la Sagesse descendue du ciel ? Je suis volontiers ce Paul qui va, dans son excessive douceur, jusqu'à pleurer sur les pécheurs qui ne font point pénitence ( II Corinthiens XII ); ce Paul qui est plus fort que les principautés et les puissances ( Romains VIII, 38 ), ce Paul enfin, qui alla puiser à pleines mains la sagesse et le suc des sens sacrés, non dans le premier ni dans le second, mais dans le troisième ciel ( II Corinthiens XII, 4 ).
Ce que nous enseignent les apôtres.
3. Voilà quels sont nos maîtres; ils ont reçu la plénitude de la science des voies de la vie, de la bouche même de notre maître à tous, et ils n'ont point cessé de nous les enseigner jusqu'à ce jour. Qu'est-ce donc que les saints apôtres nous ont appris et nous apprennent encore ? Ce n'est point l'état de pêcheur ni le métier de faiseur de tentes, ni rien de semblable; ils ne nous apprennent ni à lire Platon, ni à manier les armes subtiles d'Aristote, ils ne nous montrent point à étudier toujours sans jamais arriver à posséder la science et la vérité. Ils nous ont appris à vivre.
La première de toutes les sciences est celle du bien vivre.
Croyez-vous que ce ne soit rien que de savoir vivre ? C'est beaucoup, au contraire, c'est même tout. On ne vit point quand on est enflé par l'orgueil, souillé par la luxure, infesté des autres pestes semblables; non, ce n'est pas vivre que vivre ainsi, c'est confondre la vie, et descendre jusqu'aux portes de la mort.
En quoi consiste la bonne vie.
Pour moi, la bonne vie consiste à souffrir le mal, à faire du bien, et à persévérer ainsi jusqu'à la mort. On dit vulgairement : « Celui qui se nourrit bien vit bien, » en cela l'iniquité se trompe elle-même, car il n'y a que celui qui fait le bien qui vive bien.
En communauté il faut vivre d'une manière régulière, sociable et humble.
4. À mon avis, quiconque est en communauté vit bien, s'il vit d'une manière régulière, sociable et humble; d'une manière régulière pour lui, sociable pour les autres, et humble pour Dieu. Or, on vit d'une manière régulière quand on est attentif dans toute sa conduite à ne point s'écarter de la voie tant sous les yeux de Dieu que sous ceux des hommes, en évitant pour soi le péché, et pour le prochain le scandale. On vit d'une manière sociable, quand on cherche à se rendre aimable aux autres et à les aimer soi-même, à se montrer doux et facile, à supporter, non seulement avec patience, mais volontiers, les infirmités de ses frères, je parle des infirmités tant physiques que morales. On vit avec humilité, quand, après avoir fait tout cela, on s'efforce de chasser l'esprit de vanité qui souffle d'ordinaire dans cette direction-là, et on résiste d'autant plus à ses suggestions qu'on est plus tenté d'y consentir.
Dans la patience, on a besoin d'une triple prudence.
De même, dans le mal qu'on endure comme il est de trois sortes on a besoin de faire preuve d'une triple prudence. En effet, il y a un mal qui vient de nous, il y en a un autre qui vient du prochain, enfin il en est un troisième qui vient de Dieu. Le premier consiste dans les austérités de la pénitence, le second dans les épreuves de la malice d'autrui, et le troisième dans les coups de la main de Dieu qui nous corrige. Pour le mal qui nous vient de nous, il faut le souffrir de bonne grâce; quant à celui qui nous vient du prochain, il faut l'endurer avec patience; celui qui vient de Dieu doit être reçu sans murmure et même avec des actions de grâces. Mais ce n'est pas ainsi que l'entendent bien des enfants d'Adam qui se sont égares dans la solitude et dans des déserts arides ( Psaume CVI, 4 ). Oui, on peut bien dire : qui se sont égarés, et qui errent loin des sentiers de la vérité, puisque, se perdant dans les solitudes de l'orgueil, ils ne veulent plus de la vie commune, et leur singularité ne peut plus trouver de compagnons. Ils sont aussi dans des déserts arides, car, ignorant la douce rosée des larmes de la componction, ils vivent dans un sol stérile et désolé par une perpétuelle sécheresse. Aussi, n'ont-ils point trouvé la voie qui conduit au séjour de la cité sainte. Vieillis sur une terre étrangère, ils se sont souillés avec les morts, et se sont vus comptés au nombre de ceux qui sont dans l'enfer.
5. Celui dont le saint prophète Jérémie disait : « Il est bon pour cet homme d'avoir porté le joug dès sa jeunesse. Il s'assoira solitaire, et il se taira, parce qu'il s'est élevé au dessus de lui-même. ( Thrènes. III, 27 ), » n'était pas dans une solitude pareille à celle de ces gens-là. En effet, le solitaire du Prophète doit s'asseoir, tandis que les autres se sont égarés; ils errent constamment par le cœur, tandis que le premier est assis; mais il s'assoira bien mieux encore, ce bon solitaire, quand il aura l'honneur singulier de siéger seul en signe de là puissance judiciaire que les saints doivent posséder un jour dans leur terre, alors qu'ils jouiront d'une joie éternelle [366-5]. Le bon solitaire se taira aussi, cela veut dire qu'il jugera avec la même tranquillité que le Seigneur de Sabaoth juge toutes choses. Pourquoi en sera-t-il ainsi ? « Parce qu'il s'est élevé au dessus de lui-même, » c'est-à-dire, parce que, étant jeune encore, et à l'âge où se sentent les ardeurs de la concupiscence, il s'est fait vieux, laissant ce qu'il était pour devenir ce qu'il n'était pas. » Il s'est élevé au dessus de lui-même, » dit le Prophète, il n'a point replié ses regards sur lui, mais il les a élevés vers celui qui est placé au dessus de lui. Il s'assoira donc aussi, et il se trouvera loin du bruit que font les suggestions du démon, les désirs charnels et le monde. Heureuse l'âme qui entend les voix qui partent de ce côté sans les suivre, mais mille fois plus heureuse est celle qui ne les entend plus du tout, s'il peut exister une pareille âme. Voilà la sagesse que l'Apôtre prêche au milieu des parfaits ( I Corinthiens II, 6 ), cette sagesse enveloppée de mystère, et que nul prince du monde n'a connue. Voilà comment les apôtres m'ont appris à vivre et à m'élever. Je vous rends grâces, Seigneur Jésus, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents du siècle, et les avez révélées à ces simples et ces petits qui vous ont suivi, après avoir tout laissé pour votre nom.
[366-2]. Dans les autres éditions, on ne lit que ces mots : « Où trouver plus de sagesse que dans celui à qui ni la chair ni le sang n'ont révélé…. »
[366-5]. La phrase suivante manque dans les autres éditions et dans quelques manuscrite.
⁂
Avant le suppplice: dernières recommandations de Paul.
Saint Jean Chrysostome.
Tachez de me venir trouver au plus tôt. Car Démas m'a abandonné s'étant laissé emporté à l'amour du siècle, et il s'en est allé a Thessalonique, Crescent en Galatie, Tite en Dalmatie. Luc est seul avec moi. Prenez Marc et l'amenez avec vous, car il me peut beaucoup servir pour le ministère. J'ai envoyé Tychique a Éphèse. Apportez-moi en venant le manteau que j'ai laissé a Troade chez Carpus, et mes livres, surtout mes papiers. ( IV, 8-13 jusqu'à la fin. )
Analyse. 398-399.
1. Saint Paul devant bientôt être conduit au supplice, appelle auprès de lui Timothée pour lui faire ses dernières recommandations. — Saint Luc l'évangéliste est auprès de lui dans sa prison. — 2. Saint Paul dit que Dieu l'a délivré de la gueule du lion. — Ce lion c'est l'empereur Néron. — 3. Que les apôtres ou ne pouvaient ou ne jugeaient pas à propos de guérir toutes les maladies. — Il ne fallait pas qu'on les prît pour des êtres supérieurs à l'humanité. — 4 et 5. Que le meilleur moyen de pourvoir à nos intérêts c'est de travailler à ceux de Dieu. — Le royaume du ciel ne se donne qu'aux violents.
1. On doit se demander pourquoi saint Paul appelle auprès de lui Timothée qui était chargé du gouvernement d'une église et de toute une nation. Il n'agissait point par orgueil puisqu'il dit dans sa première épître être tout prêt à aller trouver son disciple : « Si je tarde à vous aller voir, c'est afin que vous sachiez comment il faut se conduire dans la maison de Dieu » ( 1 Tim. 3, 15 ). Quelle raison avait-il donc de l'appeler ? La nécessité l'y forçait, il n'avait pas la liberté d'aller partout où il aurait bien voulu aller. Il était retenu en prison par l'ordre de Néron, et il allait bientôt mourir. Il ne voulait pas mourir sans voir son disciple à qui vraisemblablement il avait d'importantes recommandations à faire. Voilà pourquoi il lui dit : « Hâtez-vous de me venir voir avant l'hiver » ( 2 Tim. 4, 21 ).
« Démas m'a quitté, emporté par l'amour du siècle ». Il ne dit pas : Venez me voir avant que je meure, c'eût été trop triste ; mais il dit : Venez me voir parce que je suis seul, parce que je n'ai personne pour me seconder. Car Démas m'a quitté, emporté par l'amour du siècle, et s'en est allé à Thessalonique » ; c'est-à-dire, il s'est épris du repos et de la sécurité, il a mieux aimé vivre commodément dans sa maison que de souffrir avec moi et partager mes dangers présents. Saint Paul parle désavantageusement de Démas seul, non pour flétrir sa réputation, mais pour nous fortifier nous-mêmes, de peur que nous ne faiblissions lorsque nous nous trouvons dans les maux. C'est ce que veut dire ce mot « emporté a par l'amour du siècle ». Saint Paul voulait aussi par ce moyen engager plus fortement Timothée à le venir voir. — « Crescent est allé en Galatie, Tite en Dalmatie ». Il ne parle point désavantageusement de ceux-ci. Tite était un homme d'une admirable vertu, et saint Paul lui confia le soin d'une grande île, de l'île de Crète.
« Luc est seul avec moi ». On ne pouvait séparer ce disciple d'avec saint Paul, on ne pouvait l'en arracher. C'est lui qui a écrit l'Évangile qui porte son nom, et les Actes des apôtres. Il aimait à travailler et à s'instruire, et était d'une admirable patience. C'est de lui que saint Paul a dit : « Son éloge est dans toutes les églises, à cause de l'Évangile » ( 1 Cor. 8, 18 ).
« Prenez Marc et l'amenez avec vous ». Pourquoi ? « Parce qu'il peut beaucoup me servir pour le ministère ». Il ne dit pas : Pour mon repos, mais « pour le ministère » de l'Évangile. Car bien qu'il fût dans les fers, il ne cessait cependant pas de prêcher. Voilà pourquoi il faisait venir Timothée ; ce n'était pas pour ses intérêts particuliers, mais pour le bien de l'Évangile, afin qu'aucune crainte ne s'emparât des fidèles à sa mort, ses disciples étant là pour éloigner toutes les causes de trouble et pour consoler les fidèles désolés de la mort de l'apôtre. Je me figure que des personnes considérables avaient embrassé la foi à Rome.
« J'ai envoyé Tychique à Éphèse. Apportez-moi en venant le manteau que j'ai laissé à a Troade chez Carpus, et mes livres, et surtout mes papiers ». Ce qu'il nomme ici @φελόνην@ c'était son manteau, d'autres disent que c'était un sac où l'on enfermait les papiers. Mais qu'avait-il besoin de livres lui qui allait paraître devant Dieu ? Il en avait un besoin urgent pour les léguer aux fidèles qui les conserveraient pour suppléer à son enseignement. Sa mort fut un coup terrible pour tous les fidèles, mais surtout pour ceux qui en furent les témoins et qui alors jouissaient de sa présence. Il demande son manteau afin de n'avoir pas besoin d'emprunter celui d'un autre : ce à quoi il tenait extrêmement. « Vous savez », dit-il en parlant aux Éphésiens, « que ces mains ont fourni à tout ce qui m'était nécessaire et à ceux qui étaient avec moi »; il dit encore au même endroit : « Qu'il est plus heureux de donner que de recevoir » ( Act. 20, 34, 35 ).
399-400.
« Alexandre, l'ouvrier en cuivre, m'a fait beaucoup de mal. Que le Seigneur lui rende selon ses œuvres ». Saint Paul parle encore ici de ses persécutions, non pour accuser Alexandre, ni pour le décrier, mais pour encourager son disciple à souffrir courageusement la persécution de quelque part qu'elle vienne, vînt-elle d'hommes de la dernière condition, d'hommes de rien. Celui qui est maltraité par un homme puissant, trouve immédiatement une consolation dans le haut rang de son persécuteur. Celui qui subit l'injure d'un misérable, en conçoit une plus grande indignation. « Il m'a fait beaucoup de mal », c'est-à-dire il m'a affligé de mille manières, mais ce ne sera pas impunément, dit-il ; car le Seigneur lui rendra selon ses œuvres. Plus haut il disait : « Vous savez quelles persécutions j'ai endurées, et comment le Seigneur m'a tiré de toutes » ( 2 Tim. 3, 11 ). Il donne de même ici une double consolation à son disciple : l'une que les maux qu'on lui fait souffrir sont injustes, l'autre que les auteurs de ces maux recevront de Dieu ce que leurs œuvres méritent. Ce n'est pas que les saints se réjouissent des supplices des méchants, mais il est nécessaire pour l'affermissement de la prédication que les faibles reçoivent une espèce de consolation pour se soutenir. — « Gardez-vous de lui parce qu'il a fortement combattu la doctrine que j'enseigne », en se soulevant contre elle, en tâchant de soulever tout le monde. Il ne dit point à Timothée : Punissez cet homme, châtiez-le, persécutez-le, comme il le pouvait en usant de la puissance que la grâce lui donnait. Il se contente de lui dire : « Gardez-vous de lui, laissez à Dieu le soin de le punir ». II dit seulement pour la consolation des faibles : « Dieu lui rendra selon ses œuvres » : parole qui est une prophétie ou une imprécation. Que ce soit pour encourager son disciple qu'il parle de la sorte, on le voit clairement par la suite. Mais écoutons encore saint Paul faire le récit de ses épreuves.
« La première fois que j'ai défendu ma cause, nul ne m'a assisté, et tous m'ont abandonné ; je prie Dieu de ne le leur point imputer ». Admirez combien saint Paul ménage ses amis quoiqu'ils lui eussent causé une si sensible douleur en l'abandonnant. Car il y a bien de la différence entre être abandonné par des étrangers ou par des amis. Sa tristesse était extrême. Il ne peut pas dire pour se consoler : Si les étrangers m'attaquent, au moins les miens me soutiennent. Les siens mêmes l'avaient abandonné. « Ils m'ont tous abandonné », dit-il. Ce n'était pas une faute d'une petite gravité. Si dans la guerre, le soldat qui ne secourt pas son général en péril, et qui se dérobe par la fuite aux coups de l'ennemi, est puni avec raison par les siens pour avoir été cause de la perte de la bataille, pourquoi n'en serait-il pas de même dans la prédication ? Mais quelle est cette première fois que saint Paul dit avoir défendu sa cause ? Il avait déjà été cité devant Néron, et il était sorti heureusement de cette affaire. Mais ensuite ayant instruit et converti l'échanson de l'empereur, celui-ci lui fit trancher la tête. Mais voici pour le disciple une nouvelle consolation. — « Mais le Seigneur m'a assisté et m'a fortifié ». Dieu vient toujours au secours de celui qui est abandonné. « Il m'a fortifié », dit saint Paul, c'est-à-dire il m'a donné la hardiesse, il ne m'a pas laissé tomber dans l'abattement. — « Afin que j'achevasse la prédication de l'Évangile ». Admirez l'humilité de l'apôtre. Il m'a fortifié, dit-il, non que je fusse digne de cette grâce, mais afin que je pusse achever la prédication dont j'étais chargé. C'est comme si quelqu'un portait la pourpre et le diadème du roi, et qu'il dût à ces insignes d'être sauvé de quelque péril. — « Afin que toutes les nations l'entendissent » ; que tous les peuples reçussent la lumière de l'Évangile et reconnussent combien Dieu veille sur moi.
« Dieu m'a délivré de la gueule du lion, et le Seigneur me délivrera de toute action mauvaise ». Voyez combien il avait été prés de mourir. II avait été jusque dans la gueule du lion. C'est ce nom qu'il donne à Néron à cause de sa cruauté, de sa puissance et de la force de son empire. — « Le Seigneur m'a délivré, et il me délivrera », dit saint Paul. Si le Seigneur doit encore le délivrer, comment dit-il : « Je suis déjà offert en libation ? » Mais remarquez qu'il dit : « Il m'a délivré de la gueule du lion ; et il me délivrera » non plus de la gueule du lion : De quoi donc ? « De toute action mauvaise ». C'est vraiment alors que Dieu me délivrera de tout péril, après que j'aurai satisfait à tout ce qui était nécessaire pour la prédication de l'Évangile. Le Seigneur me délivrera de tout péché, il ne permettra pas que je sorte de cette vie avec quelque tache. Avoir la force de résister au péché jusqu'au sang et de ne pas céder, c'est être vraiment délivré d'un autre lion plus à craindre, c'est-à-dire du démon. Cette dernière délivrance est sans comparaison préférable à l'autre par laquelle Dieu ne nous sauve que de la mort corporelle. — « Et me sauvant, me conduira dans son royaume céleste : Gloire à lui dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il ». Le véritable salut ne s'accomplira pour nous que lorsque nous serons brillants de gloire dans ce divin royaume. Qu'est-ce à dire, « me sauvera dans son royaume ? » C'est-à-dire il me délivrera de toute faute, et me gardera dans ce séjour. C'est être sauvé dans son royaume, que de mourir ici-bas pour ce royaume. « Celui qui hait son âme en ce monde, la conservera pour la vie éternelle » ( Jean 12, 25 ).— « Gloire à lui, etc. » Voici une doxologie pour le Fils.
400-401.
« Saluez Priscille et Aquila et la maison d'Onésiphore », qui était alors à Rome, comme on le voit au commencement de cette lettre : « Que le Seigneur répande sa miséricorde sur la maison d'Onésiphore, qui étant venu à Rome m'a cherché avec grand soin. Que le Seigneur lui donne de trouver en ce jour-là miséricorde devant le Seigneur ». En le saluant de la sorte, saint Paul excite toute sa famille à imiter la vertu de son chef. « Saluez Priscille et Aquilas ». Saint Paul parle souvent de ces personnes chez qui il avait demeuré avec Apollon. Il met la femme avant le mari, à ce qu'il me semble, parce qu'elle avait plus de zèle et de foi. C'était elle qui avait pris Apollon chez elle. Ou bien saint Paul les nomme ainsi indifféremment et au hasard. Ce n'était pas une faible consolation pour eux que cette salutation, c'était une preuve de considération et d'affection ; c'était en même temps une communication de la grâce. Il n'en fallait pas plus que la salutation de ce grand et bienheureux apôtre pour combler de grâce celui à qui elle était adressée. — « Éraste est demeuré à Corinthe, j'ai laissé Trophime malade à Milet ». Nous avons fait connaissance avec celui-ci ainsi qu'avec Tychique dans le livre des Actes. Il les avait amenés de la Judée, et les conduisait partout avec lui, peut-être parce qu'ils étaient plus zélés que les autres. — « J'ai laissé Trophime malade à Milet ». Pourquoi ne l'avez-vous pas plutôt guéri, saint apôtre ? Pourquoi l'avez-vous laissé ? Les apôtres ne pouvaient pas tout. Ou bien encore ils ne voulaient pas prodiguer en toute rencontre la grâce dont ils étaient dépositaires, de peur qu'on ne vît en eux plus que des hommes. Nous pouvons faire la même remarque au sujet des justes de l'Ancien Testament. Moïse, par exemple, était bègue, pourquoi ne se débarrassa-t-il pas de ce défaut ? Il était exposé à la tristesse et à l'abattement. Il n'entra pas dans la terre de promission.
3. Dieu permettait beaucoup de choses semblables, pour laisser paraître dans ses serviteurs la faiblesse de la nature humaine. Car si nonobstant ces défauts et ces preuves de leur fragilité, les Juifs stupides ne laissaient pas de dire : Où est ce Moïse qui nous a tirés de la terre d'Égypte ? que n'auraient-ils point dit et pensé, s'il les avait introduits dans la terre promise ? Si Dieu n'avait permis que ce même Moïse tremblât de paraître devant Pharaon, ne l'aurait-on pas pris pour un Dieu ? Ne voyons-nous pas que les habitants de Lystre, prenant Paul et Barnabé pour des divinités, voulaient leur sacrifier, de telle sorte que ces apôtres, déchirant leurs vêtements, se jetèrent au milieu de la foule en criant, en disant : « Hommes, que faites-vous là ? Nous sommes des hommes comme vous et sujets aux mêmes infirmités » ( Act. 14, 14 ). Saint Pierre, voyant les juifs épouvantés du miracle qu'il avait fait en guérissant un homme boiteux dès sa naissance, leur disait aussi : « Israélites, pourquoi vous étonnez-vous, ou pourquoi nous regardez-vous fixement, comme si c'était par notre puissance et « notre piété que nous eussions fait marcher cet homme » ( Act. 3, 12 ) ? Écoutez encore saint Paul dire : « II m'a été donné un aiguillon de la chair, afin que je ne m'élève point » ( 2 Cor. 12, 7 ). Mais, dira-t-on, il parle ainsi par humilité. Non, il n'en est rien. Cet aiguillon ne lui a pas été donné seulement pour qu'il s'humiliât ; et il ne tient pas seulement ce langage par humilité, mais par d'autres raisons encore. Remarquez en effet que Dieu en lui répondant ne lui dit pas : Ma grâce vous suffit pour que vous ne vous éleviez pas, mais que lui dit-il ? « Ma puissance « se montre tout entière dans la faiblesse ». Cette conduite avait deux avantages : les miracles éclataient aux yeux de tous, et c'est à Dieu qu'on les attribuait. À cela se rapporte ce que saint Paul dit dans un autre endroit : « Nous portons ce trésor dans des vases d'argile » ( 2 Cor. 4, 7 ), c'est-à-dire, dans des corps passibles et fragiles. Pourquoi ? Afin que cette grande puissance qui éclate dans nos œuvres soit reconnue pour appartenir à Dieu et non pas à nous. Si leurs corps n'avaient pas été sujets aux infirmités, on leur eût attribué à eux-mêmes les miracles qu'ils opéraient. On voit encore ailleurs que saint Paul est affligé de la maladie d'un autre de ses disciples, et en parlant d'Épaphrodite, il dit qu'il a été malade jusqu'à la mort, mais que Dieu a eu pitié de lui. On voit encore que cet apôtre a ignoré beaucoup de choses concernant son utilité propre et celle de ses disciples. « J'ai laissé Trophime à Milet ». Milet est une ville proche d'Éphèse. Saint Paul y avait laissé son disciple lorsqu'il se rendait par mer en Judée, ou dans un autre temps. Après avoir été à Rome, il partit pour l'Espagne. S'il revint de là dans les contrées de l'Orient, nous ne saurions le dire. Nous le voyons donc seul et abandonné de tous. « Démas », dit-il, « m'a abandonné, Crescent est allé en Galatie, Tite en Dalmatie, Éraste est demeuré à Corinthe. J'ai laissé Trophime malade à Milet ».
401-402.
« Tâchez de venir avant l'hiver. Eubule, Pudens, Lin, Claudie, et tous les frères vous saluent ». On sait que ce Lin fut après saint Pierre le second évêque de l'Église romaine. — « Lin et Claudie », dit-il. Les femmes alors étaient pieuses et ferventes, comme Priscille et Claudie dont on parle ici. Elles étaient déjà crucifiées au monde et prêtes à tout souffrir. Mais pour quelle raison, lorsqu'il y avait tant de disciples, saint Paul nomme-t-il ces femmes ? C'est sans aucun doute parce qu'elles étaient élevées par leurs sentiments au-dessus des choses de ce monde, parce qu'elles brillaient par leur vertu entre tous les disciples. Son sexe n'est pas pour la femme un obstacle à la vertu. C'est un grand don de Dieu qu'il n'y ait que les choses de ce monde où le sexe de la femme soit pour elle un désavantage ; ou, pour dire la vérité, son sexe n'est point un désavantage pour elle-même dans les choses de ce monde. Car la femme n'a pas une petite part dans l'administration, puisqu'elle a pour sa part les affaires domestiques. Sans elle, on peut dire que les affaires publiques mêmes seraient bientôt ruinées. Si elle n'était là pour empêcher le trouble et le désordre de se mettre dans l'intérieur des maisons, les citoyens seraient obligés de rester chez eux et les affaires publiques en souffriraient. Elle n'a donc pas un rôle moins important que l'homme tant dans les affaires du monde que dans les choses spirituelles. Dieu ne lui a pas même ôté la gloire du martyre, et il y en a eu un très grand nombre qui ont été glorieusement couronnées pour la foi. Elles peuvent même mieux garder la chasteté que les hommes, n'étant pas emportées par des ardeurs aussi violentes. Elles peuvent aussi mieux pratiquer l'humilité, la modestie, et parvenir à cette sainteté « sans laquelle nul ne verra jamais Dieu » ( Hébr. 12, 14 ). On en pourrait dire autant du mépris des richesses et de toutes les autres vertus. — « Tâchez de venir avant l'hiver ». Comme il le presse ! Cependant il ne dit rien pour l'affliger. Il ne dit pas : Avant que je meure, pour ne pas l'attrister, mais « avant l'hiver », de peur que le mauvais temps ne vous retienne. — « Eubule vous salue, ainsi que Pudens, Lin et Claudie et tous les autres frères ». Il ne nomme pas les autres, il accorde cet honneur à ceux-ci en considération de leur vertu.
« Que le Seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit ». Il ne pouvait faire un meilleur souhait que celui-là. Ne vous affligez pas, dit-il, de ce que je vais bientôt mourir. Le Seigneur est avec vous, et non simplement avec vous, mais avec votre esprit : double secours ; la grâce de l'Esprit et l'aide de Dieu. Et Dieu ne peut être avec nous sans que la grâce de son Esprit y soit aussi. Si elle nous quittait, comment serait-il avec nous ? — « Que la grâce soit avec nous. Ainsi soit-il ». Saint Paul fait aussi enfin une prière pour lui-même. Il veut dire : Que nous soyons toujours agréables à Dieu, que nous ayons sa faveur et ses dons : avec cela, il n'y aura plus rien de pénible. Celui qui jouit de la vue du prince et qui possède sa faveur, n'a rien à redouter ni à souffrir ; de même fussions-nous abandonnés de nos amis, ou tombés dans quelque danger, nous serons insensibles à tout, si cette grâce est avec nous et nous entoure de sa protection.
402-403.
4. Par quel moyen nous concilier cette grâce ? En faisant ce qui plaît à Dieu, et en lui obéissant en tout. Dans les grandes maisons, les serviteurs qui ont le plus de part aux bonnes grâces de leur maître, sont toujours ceux qui, s'oubliant eux-mêmes, ne s'occupent que des affaires de leur maître, mais de toute leur âme et avec ardeur, qui mettent tout en bon ordre non par force et parce qu'on le leur commande, mais par bonne volonté et par affection ; qui ont toujours les yeux attachés sur ceux de leur maître ; qui courent, qui volent au moindre signe, qui n'ont pas d'affaires ni d'intérêts propres, excepté ceux de leur maître. Le serviteur qui fait de tout ce qu'il a, la propriété de son maître, fait de tout ce qu'a son maître sa propriété particulière. Il commande comme lui dans ses domaines, il est maître comme lui. Les autres serviteurs le respectent ; ce qu'il dit, son maître le confirme. Quant aux ennemis, ils le redoutent. Si dans les choses de ce monde, celui qui néglige ses propres intérêts pour prendre ceux de son maître, ne néglige en réalité point ses affaires, mais les avance considérablement, combien cela est-il plus vrai dans les choses spirituelles ! Méprisez donc ce qui est à vous, et vous acquerrez ce qui est de Dieu. C'est lui qui vous le commande. Méprisez la terre pour conquérir le ciel. Soyez-y d'esprit et de cœur, et non sur la terre. Faites-vous craindre du côté de l'esprit, non du côté matériel. Si vous vous rendez redoutable du côté du ciel, vous ne le serez pas seulement aux hommes, mais encore aux démons, et leur prince même ne vous verra qu'en tremblant. Si vous voulez vous faire craindre par vos richesses, les démons vous mépriseront et souvent les hommes. Ce que vous pouvez acquérir sur la terre n'est qu'une récompense vile et servile. Méprisez cela et vous serez grand dans le palais de votre Roi.
Tels étaient les apôtres, pour avoir méprisé une maison servile et les biens de ce monde. Et voyez comme ils commandaient dans le domaine de leur Seigneur et Maître. Qu'un tel, disaient-ils, soit délivré de sa maladie, tel autre, du démon. Liez celui-ci, déliez celui-là. Cela se passait sur la terre et était ratifié dans le ciel. « Tout ce que vous aurez lié sur la terre, sera lié dans le ciel » ( Matth. 18, 18 ). Jésus-Christ a donné un plus grand pouvoir à ses serviteurs qu'il ne semblait en avoir lui-même, et il a vérifié ce qu'il avait dit : « Celui qui croit en moi fera de plus grandes choses que je n'en fais » ( Jean, 14, 12 ). Pourquoi, sinon parce que la gloire de ce que font les serviteurs remonte jusqu'à leur maître, comme parmi les hommes, plus un serviteur est puissant, plus son maître est considéré. Si telle est la puissance du serviteur, dit-on, quelle ne sera pas celle du maître ? Mais si un serviteur, négligeant les intérêts et le service de son maître, ne pensait qu'à lui-même, à sa femme, à son fils, à son serviteur et ne travaillait qu'à s'enrichir, et à voler ou attraper par artifice le bien de son maître, n'est-il pas clair qu'il se perdrait bientôt lui-même avec ses richesses mal acquises ? Que ces exemples, mes frères, nous rappellent à nous-mêmes et nous empêchent de chercher nos intérêts particuliers, afin d'y pourvoir avec plus de sûreté et d'avantage par le mépris que nous en ferons. Car si nous les négligeons, Dieu s'en occupera ; si nous nous en occupons, Dieu les négligera.
Travaillons aux affaires de Dieu et non pas aux nôtres, ou plutôt aux nôtres, puisque les siennes sont les nôtres. Je ne parle pas du ciel matériel, ni de la terre, ni de tout ce qui est dans le monde. Ce sont là des biens qui ne sont pas dignes de lui, et qui appartiennent aux infidèles comme à nous. Quels sont les biens que je dis être les biens de Dieu et les nôtres par lui ? C'est la gloire éternelle et le royaume céleste. Saint Paul nous assure que si nous mourons avec Jésus-Cbrist, nous vivrons aussi avec lui ; si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui ( 2 Tim. 2, 11 ). Nous sommes ses cohéritiers et ses frères ( Rom. 8, 17 ). Pourquoi nous rabaissons-nous vers la terre lorsque Dieu nous relève vers le ciel ? Jusques à quand demeurerons-nous volontairement dans notre pauvreté et notre misère ? Dieu nous propose le ciel, et nous n'avons des yeux et des désirs que pour la terre. Ou nous offre le royaume du ciel, et nous aimons mieux la pauvreté sur la terre ; on nous offre la vie éternelle, et nous nous consumons à remuer du bois, des pierres et de la terre. Devenez riche, je le veux bien ; gagnez et ravissez, il n'y a pas de mal à cela. Il y a un gain qu'on est coupable de ne pas rechercher ; il y a vol dont c'est un péché de s'abstenir. Qu'est-ce à dire ? « Le royaume des cieux », dit le Sauveur, « souffre violence, et ce sont les violents qui le ravissent » ( Matth. 11, 12 ). Soyez violent en ce sens ; soyez un ravisseur ; ce que vous ravissez de la sorte ne diminuera pas. La vertu ne se partage pas, non plus que la piété et le royaume du ciel. La vertu s'augmente à la ravir, c'est le contraire pour les biens corporels. Par exemple, je suppose une cité dans laquelle il y a dix mille citoyens. Si tous ravissent la vertu et la justice, il est clair qu'ils la multiplieront, puisqu'elle sera dans les dix mille tous ensemble. Si au contraire ils ne la ravissent point, ils la diminueront évidemment puis qu'elle ne sera plus nulle part.
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5. Comprenez-vous que les vrais biens se multiplient à les ravir, et que les faux biens diminuent ? Ne croupissons pas dans une lâche pauvreté, mais enrichissons-nous. La richesse de Dieu consiste dans le grand nombre de ceux qui jouissent de son royaume. « Il est riche en tous ceux qui l'invoquent » ( Rom. 10, 12 ). Augmentez donc sa richesse. Vous l'augmenterez si vous ravissez son royaume, si vous le gagnez, si vous l'emportez d'assaut. Il faut réellement pour cela de la violence. Pourquoi ? Parce qu'il y a beaucoup d'obstacles à vaincre, les femmes, les enfants, les soucis, les affaires temporelles, après cela les démons, et surtout leur prince, le diable. Il faut donc de la force, il faut de la persévérance. Celui qui fait violence est dans la peine, parce qu'il supporte tout, parce qu'il résiste à la nécessité. Il tente presque à l'impossible. Voilà ce que font les violents, et nous, nous ne tentons pas même le possible, quand donc obtiendrons-nous quelque chose ? Quand posséderons-nous les biens désirables et désirés ? « Les violents ravissent le royaume du ciel ». Il faut réellement de la violence, il faut emporter le ciel de vive force. On ne le gagne pas sans peine, on n'y entre pas sans coup férir. Le violent est toujours sobre, toujours vigilant ; il n'a de soins et de pensées que pour ravir ce qu'il désire, et pour épier les occasions.
À la guerre, celui qui veut enlever quelque butin veille toute la nuit, toute la nuit il est en armes. Si pour ravir les biens de cette vie on veille ainsi et on passe toute la nuit sous les armes, comment se fait-il que nous, qui voulons ravir des biens sans comparaison plus désirables et plus difficiles à saisir, les biens spirituels, comment se fait-il que nous dormions même le jour du plus profond sommeil ; comment se fait-il que nous soyons toujours sans armes ni cuirasse ? Car celui qui demeure dans le péché est un homme qui n'a ni épée ni cuirasse ; et celui au contraire qui vit dans la justice est l'homme toujours armé de pied en cap. Nous ne nous revêtons pas de l'aumône comme d'une armure, nous ne tenons pas nos lampes allumées et toutes prêtes, nous ne nous munissons pas des armes spirituelles, nous ne nous informons pas de la voie qui conduit au ciel, nous ne sommes point sobres, ni vigilants, voilà pourquoi nous ne pouvons rien ravir. Celui qui a formé le projet de conquérir une couronne terrestre n'est-il pas prêt à braver mille fois la mort ? Néanmoins il s'arme, combine ses plans, et quand il a tout préparé, il marche en avant. Il en est tout autrement de nous, nous voulons ravir lout en dormant, de là vient que nous nous retirons toujours les mains vides.
Jetez les yeux sur les ravisseurs du siècle : voyez comme ils courent, comme ils se hâtent, comme ils renversent tout sur leur passage. Oui, il faut courir ; car le démon court après vous, et il crie à ceux qui sont devant vous de vous arrêter. Mais si vous êtes fort, si vous êtes vigilant, vous avez bientôt écarté du pied et de la main tous ceux qui veulent vous prendre, et vous vous échappez comme si vous aviez des ailes. Il ne vous faut qu'un instant pour vous tirer d'embarras, pour traverser la place publique et la foule tumultueuse qui s'y presse, je veux dire la vie d'ici-bas, et pour parvenir dans la région supérieure, c'est-à-dire l'éternité, région où règne le calme, où il n'y a ni tumulte ni obstacle. Quand vous aurez une fois accompli vos violences et enlevé de force ce que vous vouliez, vous n'aurez pas de peine à le conserver, on ne vous l'enlèvera pas. Courons, ne regardons même pas ce qui est devant nos yeux, n'ayons d'autre souci que d'éviter ceui qui veulent nous arrêter, et nous sommes sûrs de conserver intact ce que nous avons ravi. Vous avez, par exemple, ravi la chasteté, n'attendez pas, fuyez, éloignez-vous du diable. S'il voit qu'il ne pourra vous atteindre, il ne vous poursuivra même pas. Autant nous en arrive tous les jours : lorsque nous n'apercevons plus ceux qui nous ont volé quelque chose, nous désespérons de les rejoindre, nous renonçons à les poursuivre et à les faire poursuivre et arrêter, nous les laissons partir tranquilles. Faites de même, courez fort dès le commencement. Dès que vous serez loin du diable, il n'essaiera plus de vous atteindre. Vous pourrez en toute sécurité jouir des biens ineffables que vous avez ravis. Puissions-nous tous les posséder, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, force, honneur et adoration, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. JEANNIN.
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